L'histoire :
Antonia est une femme simple issue d'une famille dont la précarité a été aggravée par la guerre civile espagnole. Carmen, sa mère adorée, l’a entretenue dans une foi religieuse naïve, justifiant tous les sacrifices par l'assurance d'être récompensée dans l'au-delà. Antonia a pourtant connu de petits instants de bonheur, comme à cet été 1946, sur cette plage où a été prise une photo qui ne la quitte pas. Jamais Antonia ne comprit le procédé de la photographie. Le processus entre le déclencheur et la photo a toujours été un mystère pour elle. Ce qui se passait dans l'appareil du photographe ambulant lui semblait aussi fantastique que le spectacle qu'elle avait eu la chance de voir, un jour, au théâtre. Œuvre de la main de Dieu ou de petits lutins cachés dans l'engin, peu lui importait : la photographie remplissait sa fonction, c'est-à-dire évoquer des instants perdus par un effet magique. Après la guerre, les gens ne possédaient que quelques photos prises aux moments les plus importants de leur vie. Ces objets rares n'en étaient que plus vénérés. Avant ses 20 ans, Antonia n'avait été prise en photo qu’à trois reprises. L'un de ces portraits, la montre avec sa sœur Vincentita et le futur mari de celle-ci. C'est une photo de studio classique où les fiancés posent dans leurs plus beaux habits, les yeux fixés avec un intérêt fin sur un point, hors champ. Cette photographie date de 1940 1941. La guerre était finie depuis peu de temps et la vie n'était pas facile pour la grande majorité des espagnols…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Après La Maison, sorti en 2016, l’auteur et artiste Paco Roca revient encore une fois à sa source familiale pour évoquer le destin d’Antonia, sa mère, dont l'enfance, déjà marquée par le dénuement, fut bouleversée par la guerre civile espagnole. C’est avec un récit construit autour d’une photographie de sa mère à la plage avec des membres de sa famille en 1946 que Paco Roca fait découvrir au lecteur la vie de sa maman avec une rare sensibilité. Ainsi, si cette tranche de vie n'a rien d'exceptionnel, elle témoigne de celle de tant de femmes de cette époque, privées d'études et soumises à un machisme féroce, sans même la liberté de s'imaginer une autre destinée que celle de femme au foyer. Et loin de tomber dans une nostalgie béate, la narration de Paco Roca met en avant le destin d’une femme qui a toujours su accepter son sort, contre vents et marées. En ce qui concerne les dessins, la patte fine de Paco Roca est omniprésente sur toutes les planches avec pas mal de détails dans les décors et des traits expressifs. Qui plus est, l’utilisation de couleurs froides permet de rehausser l’âpreté de la vie d’Antonia dans cet Espagne d’après-guerre… Au final, Retour À L’Eden est une œuvre poignante d’un fils sur sa mère, en forme d’un vibrant hommage à cette femme dont la vie a étouffé en elle la moindre étincelle de rébellion mais qui a su accepter avec courage tout ce que le destin lui a réservé…
