L'histoire :
Par une journée d'hiver ensoleillée, Jan, ex-militaire déchu et solitaire, marche sur une route bitumée mais délabrée des Alpes enneigées, en compagnie de sa mule robotique, l’intelligence artificielle Marguerite. Il compte rejoindre une sorte de « sanctuaire » créé par les suisses, c’est-à-dire une zone préservée de la contamination par le virus de la grippe aviaire qui s’est jadis propagée aux hommes. Il y a quelques années, en effet, ce terrible fléau a été à l’origine d’une véritable apocalypse, décimant la population et divisant les survivants en plusieurs factions livrées à une sorte de guerre civile planétaire. Depuis lors, les humains se regroupent dans des bunkers isolés, et se protègent radicalement en tuant systématiquement tous les oiseaux, mais aussi les chats – qui ont durant un temps proliféré pour chasser les oiseaux – voire encore des loups hybrides, générés pour réduire la population les chats. Pour l’heure, Jan marche seul dans la poudreuse vers les hauteurs, en direction d’un refuge abandonné pour la nuit. Il est en permanence à l’écoute des indicateurs de Marguerite, mais aussi de son instinct, car Marguerite n’est pas tout à fait infaillible. Une fois dans le refuge, avant de ne s’endormir que d’un œil, il installe et programme son fusil autonome et poste Marguerite, tous capteurs dehors, devant la porte. Sage précaution, en effet…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Il est plaisant de constater que Jean-Pierre Pécau renoue enfin avec le registre de l’anticipation SF de ses débuts (Nash, Zentak…). Ces dernières années, le scénariste a en effet pas mal œuvré en régurgitant son érudition historique spécifique ou uchronique, souvent au détriment du souffle épique de ses récits de genres. L’avantage des mondes futurs imaginés, c’est que les références historiques du lecteur ne sont pas des prérequis pour étayer le fond des intrigues. L’ambiance est ainsi plus prégnante, les dialogues fluidifiés et, ici, moins nombreux. Ce qui n’empêche pas le scénariste de s’appuyer sur une excellente connaissance des grandeurs et décadence de nos civilisations. Voire de notions scientifiques et biologiques. Car dans cette mise en bouche, Pécau ravit ses lecteurs de fantasmes robotiques inventifs et d’un fléau viral tout à fait probable… à en croire la petite phrase authentique de l’OMS (Organisation Mondiale pour la Santé) imprimée en 4ème de couverture : « La question n’est pas de savoir si le virus de la grippe aviaire risque de muter pour devenir mortel pour l’homme, mais quand ». A défaut d’être originale, la psychologie des personnages est quant à elle cohérente. Présent dans chaque case ou presque, le héros est un archétype efficace : solitaire, aguerri, opiniâtre, gonflé d’espoir, trimbalant des démons passés quelque peu infamants. Son faire-valoir de compagnie est un robot-mule dont les limites de conversation sont drolatiques, croisement original entre une table basse et un datacenter. Sa quête ? Evidemment, la recherche d’un monde meilleur que les ruines apocalyptiques héritées des outrances et des incompétences humaines. Enfin, qu’il s’agisse des restes de notre civilisation ou des vastes paysages de montagne enneigée, tout cela est magistralement dessiné, mis en scène et dynamisé par Damien, un dessinateur ultra-fidèle au Pécau depuis ses débuts. Cet excellent tome d’exposition augure du meilleur pour la suite.