L'histoire :
Toute petite, il y avait les cauchemars. Toujours les mêmes qui la grignotaient et faisaient devenir la nuit insupportable. C’était après que sa maman ait mis fin à ses jours en se tirant un coup de carabine dans le ventre. Elle se souvenait si bien de ce jour là. Un jour où sa maman n’était pas venue, avant que ne débute le spectacle de danse, lui faire son petit chignon. Après, son père n’avait plus jamais été le même. Après, beaucoup plus tard, Aline a 17 ans. Un soir, elle s’endort en écoutant Kiss off des Violent Femmes, accompagné d’une maxi dose de médicaments... Quand elle se réveille, elle est attachée à un lit d’hôpital. Le regard froid du médecin, la langue qui râpe, l’œsophage qui brûle, la peur qui la gifle et le bout des pieds froids… Elle se rendort alors, en attendant son transfert vers le centre hospitalier Sainte-Anne. Arrivée là bas, elle n’a plus qu’une envie : prendre ses jambes à son cou. Après tout, elle se sent nettement mieux. Mais ça n’est pas prévu du tout comme ça. Commencent alors de longues journées enfumées avec de drôles de gens…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Après le remarqué Premières fois, Sibylline nous confie un bout de sa propre histoire : un mois de sa vie, en quelques 130 pages, passé dans un drôle d’endroit, derrière les murs austères de l’hôpital psychiatrique Sainte-Anne à Paris. C’est Aline, une ado de 17 ans qui endosse la responsabilité de nous transmettre la palette des sensations qui accompagnent ce séjour peu ordinaire. Et pour être franc, à part l’odeur (quoique !), elle y parvient haut la main. Car c’est bien là que réside la réussite du projet : nous inonder, 15 ans après, avec justesse, pudeur pesée et sans jugement excessif, de sa propre perception de cet univers unique et clos. Le découpage en chapitres à thématiques appropriées à cette situation (les autres, visites, émissions, médicaments, chambrée…) offrent à la fois l’intérêt de livrer le récit par judicieuses petites touches, tout en nous permettant de salutaires reprises de respirations. Ainsi rythmée, l’histoire d’Aline/Sibylline n’a rien de tapageur, d’empathique gluant et convenu ou de voyeurisme maladroit. Le récit joue alors la transparence par petits bonds, souligne les malaises (en particulier celui de côtoyer la folie) et nous ouvre insidieusement sur les autres. A ce titre, la sortie d’Aline et le dernier regard porté vers les compagnons d’infortune nous gonflent d’émotion (quelle belle planche silencieuse !). Au-delà, pas d’entonnoir donc, mais un pyjama bleu, le train-train étonnant de la prise en charge psychologique, des souvenirs d’enfance, une problématique personnelle, un geste grave, de l’incompréhension, un papa, tous ces vides deshumanisant et tous ces gens. Jamais on ne comprendra complètement le pourquoi. Pas grave… Pour porter l’ensemble, Sibylline ne pouvait pas trouver meilleur ambassadeur que le trait de Natacha Sicaud. Juste, s’interdisant toute caricature, son dessin réussit le pari de la pudeur en jouant pourtant avec force l’expressivité. Indéniablement un livre au ton juste. Parfaitement réussi.