Et hop ! Revoilà l’érotisme dans le 9e art franco-belge, par l’entremise bienvenue des éditions Delcourt. Après l’édition française du pavé d’Allan Moore Filles perdues, la charmante Sibylline débauche 10 artistes talentueux pour illustrer 10 Premières fois en matière de sexe et de plaisir charnel. Joli casting : Olivier Vatine, Cyril Pedrosa, Alfred, Virginie Augustin… Il se murmure que l’instigateur s’appellerait David Chauvel. Les sens en émoi, les bédiens ont sauté (…) sur l’occasion pour interviewer cette scénariste si avenante…
interview Bande dessinée
Sibylline
Pour faire connaissance, peux-tu te présenter : comment en es-tu arrivée à faire de la bande dessinée ?
Sibylline : Le hasard des amitiés et des rencontres… Un genre de chouette conte de fées, mais sans fée. Jérôme d’Aviau avait lu un projet en cours (avec Cati Baur auteure de J’arrête de fumer), et il en avait parlé à Loïc Dauvillier. Après une brève rencontre à Angoulême 2007, Loïc m’a contacté et m’a proposé de partager l’écriture d’un livre. Neuf mois plus tard (haha), en Octobre paraissait Nous n’irons plus ensemble au canal Saint-Martin aux Enfants Rouges.
« Sibylline », en BD, c’est plutôt connoté jeunesse, non ? (c’est la petite souris, héroïne de Raymond Macherot)
Sibylline : Peut-être… Mais heureusement que les prénoms ne nous tracent pas une ligne de conduite en fonction de leur origine. Sinon je passerais un temps fou à faire des tartes.
C’est un pseudo ?
Sibylline : Non, c’est mon vrai prénom de la vraie vie dans le vrai monde, un choix de mon papa.
Comment en es-tu arrivée à vouloir faire un tel recueil ?
Sibylline : Alors si je dois refaire l’historique du pourquoi et du comment… je me lance. Jusqu’à ce qu’on me le propose, je n’avais pas vraiment envisagé d’écrire des histoires érotiques. Au lancement du blog BDcul.com, mon camarade Jérôme d’Aviau (de Nous n’irons plus ensemble au canal Saint-Martin) m’avait demandé de lui écrire un scénario pour qu’ensemble nous participions à ce projet. Très peu de temps après, David Chauvel me demandait si j’aimerais écrire pour un collectif érotique. C’est donc l’histoire écrite pour Jérôme que je lui ai envoyée pour voir si je ferais l’affaire… et on s’est lancé.
C‘est en travaillant avec Brigitte Lahaie qu’on se pique d’érotisme ?
Sibylline : J’ai travaillé trois mois pour Canalweb et Mysexytv. J’animais les « tchats » pendant des émissions diffusées en direct sur le web. C’était Brigitte Lahaie qui était responsable des émissions, et qui en animait une. Finalement c’est très anecdotique comme expérience. Mais les émissions étaient vraiment chouettes. La simplicité avec laquelle les thèmes étaient abordés était formidable. Je l’admirais beaucoup, elle a une présence et une assurance impressionnante.
Comment a tu présenté un tel projet à Guy Delcourt, la… première fois ? Comment a-t-il accueilli la chose ?
Sibylline : C’est David qui lui a présenté le projet, je n’ai donc rien vu, rien entendu. Aujourd’hui le livre existe et tout le monde a l’air content.
Notre petit doigt nous a dit que tu étais à l’accueil/au standard des éditions Delcourt. C’est de voir défiler tous ces gens qui t’inspire ?
Sibylline : Quel étrange petit doigt… Oui oui, je suis bien la voix et la porte des Editions Delcourt. Une chose est certaine : travailler au jour le jour dans une maison d’édition de bande-dessinées donne envie de se lancer, cela rend les choses un peu plus accessibles, l’édition n’est plus un fantasme, mais un quotidien, où on se sent bien.
L’érotisme en BD est un genre un peu tombé en désuétude ces dernières années… Comment expliques-tu cela ?
Sibylline : Peut-être comme toutes les modes, les choses s’épuisent, un puis un jour, elles reviennent. Un peu comme un pull manches chauve-souris.
Comment as-tu déterminé ces 10 premières fois là et pas d’autres ?
Sibylline : Dix c’était déjà beaucoup, je me suis beaucoup inquiétée de la panne d’idées. Je n’avais pas envie qu’une ou deux histoires fassent « rajoutées ». J’ai surtout eu la sensation de choisir des thématiques faciles et essentielles. Des premières fois trop aberrantes n’auraient pas fonctionnées. Et surtout, j’avais envie que ces histoires puissent faire écho à quelque chose de vécu, ou d’envisageable.
Au cours de la confection de ces histoires, tu as avoué avoir été troublé par certaines pratiques sexuelles. Tu veux en parler ?
Sibylline : J’ai regardé des films X pendant l’écriture de Premières Fois, j’avais envie de voir ce qui constituait la pornographie du moment. Il y a une vraie surenchère dans le X, une surenchère parfois violente. Les films se calquent les uns sur les autres, on retrouve les mêmes gifles, les mêmes positions improbables, des doubles pénétrations. A force d’images, tout ça devient évident, accessible. Attention hein, je suis loin d’être critique, juste un poil inquiête pour ceux qui apprennent à toucher l’autre avec le X pour unique référence. C’est pour parler de ça que Nulle a été écrite.
Y a-t-il eu des idées de premières fois qui ont été abandonnées ? Lesquelles et pourquoi ?
Sibylline : Oui j’avais très envie d’écrire La première fois où j’ai couché par intérêt. (Je vous vois sourire au fond... Allons, allons.) Je trouvais ça intéressant, de pouvoir dire que le sexe peut être un outil de réussite pour les femmes, peut-être plus que pour les hommes. Vos faiblesses, messieurs, ne sont pas les nôtres, huhu. Et puis finalement, les idées d’histoires assorties étaient assez nulles, j’ai laissé tomber.
Comment le casting des artistes s’est t-il déroulé ? Certains ont-ils été difficiles à convaincre ? Ou d’autres pour qui ça a donné des idées de poursuivre dans le genre ?
Sibylline : Nous avons réfléchi chacun des dessinateurs avec David. On se proposait des gens, on regardait leur travail, quand on ne le connaissait pas déjà. David avait travaillé avec certains, moi avec d’autres. Il fallait marier les thèmes et les gens. Et puis on pouvait faire des mails rigolos : Objet : « Qui fait Sodomie ? ». Tout a été assez joyeux. Il me semble qu’il n’y a que deux ou trois dessinateurs qui ont décliné la proposition. Ceux qui font parti de l’aventure ont dit oui, et c’est tout. Les échanges avec chacun ont été très différents, mais tous vraiment enrichissants. Pour ce qui est des envies futures de mes petits camarades, je ne sais pas, il faudra leur demander… :)
Y a-t-il des artistes que tu aurais aimé « recruter » ?
Sibylline : Je suis encore tout émue que tous ceux qui font partie du livre aient accepté, j’aime leur travail à tous, et je suis fière, très fière qu’ils nous aient fait confiance. Mais oui, il y a forcément tout un tas d’artistes dont j’admire l’univers que j’aurais aimé rajouter à la liste des auteurs de Premières fois, mais je suis nulle en liste de gens.
Y a-t-il eu des « blocages » de certains des 10 artistes qui cosignent le recueil, devant telle ou telle première fois ?
Sibylline : Non, ou alors, on ne m’a rien dit. Il y avait juste une envie collective de bien et de beau faire. Toutes les premières fois n’ont pas été imposées, ils ont parfois choisi entre plusieurs. C’était un joli moment d’ailleurs, quand ils disaient « Je prends celle là. » Nous avions tous un peu peur, moi la première, de faire trop cul, pas assez… Je pense que quand on prend la décision de participer à un collectif d’histoires érotiques/pornographiques, on sait qu’on va devoir se mouiller un peu. Ahem.
Tu racontes ces premières fois avec une étonnante simplicité, avec sincérité. Pour y parvenir, y a-t-il un travail préalable à faire sur soi, sur la gestion de sa propre pudeur ?
Sibylline : Eh bien ça alors, merci ! La pudeur, c’est souvent un souvent un souci de rapport aux autres. Au début, je me suis dit que c’était aussi facile de faire un livre comme celui là que de courir à poil sous la Tour Eiffel, et puis bon, si on y réfléchit un peu, pourquoi pas hein… J’ai surtout eu peur de ne pas être à la hauteur, s’attaquer à un « genre », c’est terrifiant. C’est de toute façon plus facile de livrer à l’écrit ce que l’on est parfois incapable de dire à haute voix.
Quand on scénarise un album aussi transgressif, on s’expose énormément, non ? As-tu une appréhension du regard d’autrui ?
Sibylline : Si ce livre ne parle pas que de mon vécu, il me ressemble je crois. C’est un livre intime, ou chacun a donné beaucoup de soi. Là où on pourrait m’imaginer très exposée, je suis au final, très protégée. Je me suis bien sûre posé des questions. Que va-t-on dire, que va-t-on imaginer, de moi, de ce que je suis ? Ça ne m’est pas égal, loin de là. Mais c’était le risque en acceptant ce projet. Le sexe est de plus en plus accessible mais continue de faire rougir et ricaner. C’est un sujet fort, mais très fragile. J’en ai conclu de mes tergiversations que faire un livre comme celui là sans assumer, sans s’assumer, ça aurait été absurde. Voilà.
As-tu couché avec David Chauvel ? (huhu)
Sibylline : Quoi mais pardon ?! Mais on ne m’a pas dit qu’on pouvait ! Bigre…
Selon toi, y a-t-il des limites à ne pas aborder en matière de BD érotique ?
Sibylline : Oh, je ne sais pas si je peux vraiment construire une limite invisible à quoi que ce soit. C’est l’envie qui permet l’étendu du possible. De quoi avez-vous envie ?
Est-ce un genre que tu réemploieras par la suite ?
Sibylline : Peut-être. J’aimerais bien, un jour.
Quelles sont tes références en matière de BD ?
Sibylline : Ouhlala, je ne sais pas. C’est aussi difficile de répondre à ça que de faire la playlist des chansons de sa vie.
Quels sont tes autres projets ?
Sibylline : Jérôme d’Aviau et moi avons commencé un quelque chose. Une histoire naïve et tendre, qui devrait s’appeler Le Trop Grand Vide d’Alphonse Tabouret, et puis j’ai commencé un autre chose depuis peu, moins drôle, je travaille dessus avec David… Nous verrons bien.
Si tu étais une bédienne, quelles seraient les BD que tu aurais envie de faire découvrir aux terriens ?
Sibylline : Travailler dans la bande-dessinée, ça permet de découvrir des livres à côté desquels on serait peut-être passé. Les livres s’échangent, se prêtent, ou bien ce sont les amis qui les ont écrit, alors on les lit, et c’est tant mieux. Donc en bazar : il faut lire Jacques, le petit lézard géant de Libon, parce que c’est tellement drôle qu’on en pleure des larmes de joie. Il faut lire Pourquoi j’ai tué Pierre d’Olivier Ka et d’Alfred, c’est un livre unique, qui fait secouer le cœur. Il faut lire Black Hole, de Mr Charles Burns, parce que c’est génial (oui, oui ça c’est de l’argument). Il faut lire tous les Sandman en V.O. parce que c’est magique. Lisez aussi Trois Ombres, de Monsieur Pedrosa. Il faut aussi lire Les Mangeurs de Cailloux de Jean-Luc Loyer, Les Bidochons de Binet, Groenland Manhattan de Chloé Cruchaudet, Le Combat Ordinaire et Le Retour à la Terre de Manu Larcenet, Strip-Tease de Joe Matt, et puis tous les Donjon, et aussi Reiser, Brétecher, Gotlib, et encore Gon de Tanaka… et... ARRETEZ MOIIIIIIIIIII. Non mais en vrai, je ne pourrais jamais tout lister. En plus, et ça va m’agacer en me relisant plus tard d’en avoir oublié. Demandez plutôt conseil à votre libraire.
Si tu avais le pouvoir cosmique de pénétrer quelques minutes dans le crâne d’un autre auteur de BD (pour comprendre sa démarche, son processus créatif…), lequel irais-tu visiter ?
Sibylline : Ça a l’air dégoutant à faire… Edika, ça doit être rigolo quand même.
Y a-t-il une question que j’ai oublié de te poser ? Si oui laquelle et peux-tu y répondre ?
Sibylline : Surement ! Mais oui, bien sûr.
Merci Sib !