L'histoire :
Fin 1986, après trois mois passés avec les MSF en Afghanistan, Didier Lefèvre décide de rentrer seul. Juliette, la chef de mission le met en garde : seul, sans parler la langue, sans protection, c’est trop dangereux. Néanmoins, le photographe se retrouve un premier soir seul, dans un village haut perché. Accompagné de son seul guide, sec comme un coucou mais en pleine forme, il a la sensation agréable d’être aux commandes de son voyage. Après les journées de marche, il aime fréquenter les mosquées, comme des églises, lieux d’accueil et de rencontres. Manipulant son dico du mieux possible, il répond simplement et le plus intelligemment aux multiples questions des autochtones : est-ce qu’un chrétien doit faire la prière ? Combien de fois par jour ?... La négative corrobore le fait qu’être chrétien c’est moins bien que d’être musulman. Le pire serait de répondre qu’il n’est pas croyant. Que cela ne compte pas pour lui. Qu’il a un enfant qu’il n’a pas fait baptisé. Cela se terminerait par une balle dans la tête...
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Plus qu’une BD, Le Photographe est un témoignage. Un hommage à des gens d’exception (Juliette, Régis, Robert, John, Mahmad et les autres MSF, « militants » sans frontières) rendu par un trio d’amis dont la collaboration nous offre ce triptyque ô combien atypique et poignant. L’intérêt de l’œuvre ne réside pas dans son dessin, encore que le trait noir et épuré d’Emmanuel Guibert, rehaussé de tons unis à dominante beige (gris « roche »), sied parfaitement au propos. Non, l’essentiel de son apport réside dans la narration qui raconte et accompagne les photographies prises par Didier Lefèvre. Les clichés noirs et blancs donnent une certaine distance « datée » et, néanmoins, en renforce l’authenticité. Une vérité à valeur de mémoire. Le choix d’un récit à la première personne, essentiellement « off », aide à l’introspection. Le lecteur, au fil d’une mise en page soignée de Frédéric Lemercier, s’identifie peu à peu au « free-lance » qu’est devenu, le temps d’un voyage périlleux, notre photographe. « Notre » photographe, parce qu’on souffre et qu’on aime comme lui ce pays de montagnes, de rencontres, où la mort côtoie trop souvent la vie. L’indifférence est impossible. Passionnés ou révoltés, vous toucherez à l’absolu… En bonus, cet album déjà copieux (104 pages !) offre un DVD reportage de 35 minutes environ, inédit, tourné par Juliette Fournot au cours de la mission. Un livre, une BD, des photos, une vidéo : des supports complets et complémentaires pour témoigner de ces hommes et femmes qui « tentent de réparer ce que d’autres détruisent ». L’important semble que cette expérience hors normes soit dite et retranscrite, bref accessible. Que tout le monde sache. Libre à chacun d’en disposer. Rappelons-nous l’enseignement du Tueur (Jacamon, Matz) : sur dix personnes prises au hasard, sept sont prêtes à refroidir leur prochain ou à le torturer, comme ça, pour obéir aux ordres. Combien sont prêtes à tendre la main de leur plein gré ?