L'histoire :
C’est un chien que Phil est venu chercher… La nuit s’épaissit sur la Réunion et le vieux bonhomme attend patiemment. Quelques notes de musique offertes par l’autoradio, une toux tenace, deux ou trois bières et les larmes, qui coulent sur ses joues (quand il pense à sa situation) sont ses seules compagnes pour tromper l’ennui. Mais ça y est. Le voilà qui quitte son véhicule, machette et filet de pêche à la main, pour s’approcher du hangar désaffecté où les chiens errants ont l’habitude de se rassembler. Phil a repéré une mère et plusieurs de ses chiots. La bataille est rude. Les morsures pleuvent. Mais le vieux briscard connait la musique pour ne pas tarder à mettre dans son coffre chienne et petits. Remonté dans sa voiture, le vieil homme se sent mal : morsure et alcool font si mauvais ménage qu’il attrape un accident. Tant pis, il laisse sa voiture. Puis il rentre chez lui avec son « butin » qu’il cache dans la remise. Il reprend une bibine et sort dans la rue… pour s’écrouler quelques mètres plus loin. C’est le moment choisi par Nelson pour emprunter la même rue. Il ne tarde pas à reconnaitre celui qui, il y a à peine une heure, vient d’embarquer les chiens qui lui tenaient compagnie depuis qu’il s’était enfui de chez lui. Nelson est alors bien décidé à délivrer ses « amis » : courageux mais pas forcément malin…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Déjà complices pour L’idole dans la bombe, Stéphane Presle et Jérôme Jouvray se retrouvent aux commandes d’un diptyque dont le titre créole (ainsi que de nombreux dialogues) nous entraine aussitôt vers l’Ile de la Réunion. Et si de chasse au squale il est un peu question, ne vous attendez cependant pas à une sympathique promenade touristique fleurant aventure et exotisme, entre ciel et océan azurés. En effet, le décor a ici plutôt des allures d’envers de carte postale, dans lesquels misère sociale, inégalité et avenir bouché teintent l’outre-mer d’une coloration bien plus sombre qu’on ne l’imagine a priori. Pour autant, le récit proposé ne joue pas uniquement la carte de l’analyse sociétale. Il utilise ce contexte pour enfoncer le clou d’une intrigue noire et tendue, dans laquelle le drame se coupe au couteau. Il y a donc Nelson et Phil. Le gamin des bidonvilles a fuit la maison, ne veut plus entendre parler de l’école et fume le fruit de ses larcins à s’en rendre malade. Le destin lui fait croiser la route du vieux pêcheur de requin… Autour de cette rencontre, dont l’incertaine issue aiguise toute notre attention, le scénario tisse, à renfort de voix off (celles introspectives du gamin ou du pêcheur) et de flashbacks savamment dosés, un second niveau dramatique nous conduisant vers le passé récent des deux personnages principaux. Le choix narratif opéré scelle la tension du propos pour une partition de désespoir que les meilleurs blues ne renieraient pas. Bien difficile d’imaginer une happy-end en tous cas. Toujours aussi séduisant et à nouveau très convaincant pour porter l’émotion, le trait de Jérôme Jouvray participe habillement à la mise en place de cette atmosphère particulière. Difficile de résister en tous cas…