L'histoire :
En 1919, à Cracovie, Alfred Prinz aime retrouver quelques amis autour d’un verre de vodka, quelques cartes, des pinceaux et un chevalet. Il fuit ainsi l’univers étriqué des petits commerçants où il est commis. Un heureux soir, c’est un nouveau modèle, Magdalena qui sert les velléités artistiques du petit groupe d’amis. La jeune femme, qui semble particulièrement attirée par Prinz, termine la nuit sous les draps et dans les bras du timide et beau garçon. Cependant, l’idylle tourne court : Alfred est rappelé à Dresde par son père qui lui a trouvé une situation. Les années passent. 18, exactement, lorsque Prinz qui vit tranquillement, sans femme ni enfant, apprend que Magdalena habite à Breslau et qu’elle a un fils, probablement le sien. A cette époque, il fait la connaissance d’Elias Spitzer, un médium qui tente de le convaincre que la métaphysique est propice à abattre les frontières sociales et mentales : la naissance d’une nouvelle ère balayant les dérives matérialistes de la société semble émerger. Le problème majeur, néanmoins, c’est qu’Elias est convaincu que la plupart des maux sont imputables aux juifs. C’est d’ailleurs là un sentiment dominant que relayent abondamment les partisans d’Hitler. Prinz prend conscience du danger de ce genre d’argument. Il est alors convaincu de la nécessité de quitter Dresde : retrouver Magdalena et son fils en est, sans conteste, l’opportunité. Quelques jours plus tard, il prend le train pour Breslau. Néanmoins, une heure après son départ, le convoi est contraint de s’arrêter en pleine forêt.
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Il y a un contexte historique fort, un personnage central à la fois perdu par son héritage, ses convictions, ses doutes et sa probable paternité. Et puis ce train qui se perd dans la forêt, cette caravane tzigane, ces voyageurs soucieux ou mystérieux, le hasard des rencontres, ces SS oppressants, ce racisme et cet antisémitisme banalisés… Dans cette ouverture de diptyque, Johanna use avec malice de ces multiples ingrédients, avec un vraisemblable double objectif. Primo, installer un huis clos aux velléités anxiogènes, pour mieux nous faire sentir la force des enjeux. Secundo, rendre compte de la complexité des sentiments et émotions qui s’agitent à l’intérieur d’Alfred Prinz, le personnage principal. Ainsi, elle zoome avec efficacité sur les mécanismes du conditionnement, plaçant notre pauvre voyageur, aidé par un hasard pernicieux, au centre de ce tiraillement : ce qu’il est et ce que l’on en a fait. En filigrane, Johanna pose certainement la question du libre arbitre pour ne pas dire de la liberté ou des choix à faire, pour toujours rester humain. Ce premier opus se joue énormément du lecteur en posant de multiples questions, en enveloppant beaucoup de ses protagonistes d’un épais mystère ou jouant la carte du rebondissement inattendu. C’est pourquoi nous émettons ici, uniquement, quelques hypothèses sur les intentions de l’auteure, en attendant que Johanna ne délie dans le prochain chapitre les nœuds complexes qu’elle s’est amusée à nouer. Finalement, plus que le récit, c’est l’atmosphère qui marque la lecture. La force des peintures ajoute, d’ailleurs, beaucoup à ce sentiment : un trait à la fois doux et envoûtant, qui nous perd aisément dans la complexité des émotions et des enjeux du récit.