L'histoire :
Jean Jaurès vient d’être assassiné. La France se prépare à entrer de plein fouet dans la première guerre mondiale, une « der des ders » qui durera 4 ans… Prés de Collioure, Mattéo le fils d’un anarchiste espagnol est fou d’amour pour Juliette, une petite du pays que le sourire charmeur fait chavirer. Mais le conflit qui approche vient jouer les troubles fêtes. Juliette n’a plus qu’un prénom à la bouche, celui de Guillaume qui s’engage, prochainement, dans l’aviation. Le jeune homme est le fils aîné des De Brignac, ceux à qui tout appartient : de la terre, aux hommes qui la foulent… Évidemment, le jeune espagnol est jaloux et c’est auprès de son ami Paulin qu’il s’épanche, ce bon copain qui vient d’obtenir une bourse pour étudier aux beaux arts. Malheureusement, l’heure n’est pas à la peinture et le jeune homme rejoint, bientôt, des centaines d’autres garçons dans un train qui les achemine vers le front. Au cours de ces premières heures, la guerre charme son monde et le village est fier de donner ses fils à la nation. Mais le temps passant, les visages se ferment lorsqu’on pleure les enfants disparus. Les premières lettres de Paulin sont édifiantes et invitent Mattéo à ne jamais s’engager. Le jeune homme est en effet dispensé de toute obligation militaire en raison de sa nationalité. Si cette situation rassure sa mère, elle l’éloigne chaque jour un peu plus de Juliette et le torture de culpabilité. Pensant reconquérir sa belle, il finit par s’engager au moment même où Paulin regagne le village, le gaz Moutarde ayant eu raison de ses yeux. Pour notre jeune héros débute, alors, une terrible plongée dans les tranchés qui finira d’ensevelir ses illusions…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Depuis qu’il a fait briller son patronyme en commettant coup sur coup les magnifiques séries Le Sursis et Le Vol du Corbeau, chaque nouvelle production de Jean-Pierre Gibrat est religieusement attendue. Alors pour ne pas rompre le charme, on retarde l’instant de lecture, tant on sait à l’avance qu’on sera trop vite happé. On caresse la couverture, on hume le papier et finalement les doigts trichent en engloutissant les feuillets… Avec Mattéo, Jean-Pierre Gibrat s’installe durablement parmi les pointures de la BD. Graphiquement d’abord, l’artiste maitrise avec génie ses aquarelles (quelle évolution depuis son Goudard !). Il fait glisser ses couleurs avec subtilité, leur permettant de sublimer toutes les émotions. On sent que l’artiste prend enfin la mesure de son art, qu’il est décomplexé, lui qui parfois prétendait ne pas être un grand dessinateur. Et s’il peine encore à proposer des héroïnes qui s’éloignent physiquement des précédentes, l’intention est bien là, de tout faire évoluer. A quoi bon, d’ailleurs, se séparer de celles qu’on aime… Scénaristiquement ensuite, car là où l’auteur dépasse toutes nos attentes, c’est incontestablement grâce à la qualité littéraire de son ouvrage qui indéniablement assoit. Les formules sont tranchantes. Les phrases courtes et rythmées. Les métaphores violentes et implacables, le langage si astucieusement imagé. Il subtilise l’écriture au dessin, évitant ainsi, de nous servir des kyrielles de clichés. Il écrit cru, il dessine doux et ça colle admirablement bien. On pense immédiatement au style de Louis-Ferdinand Céline dans Voyage au bout de la nuit : le même claquement. L’histoire, enfin, nous tient en haleine, impatients de suivre le destin de cet anti-militariste convaincu qui fera toutes les guerres (la série est prévue en 4 époques qui s’étalent de 1914 à 1939). L’ensemble lié par cette pointe de romantisme si chère à Jean-Pierre Gibrat. Un album à regarder et à lire. Ce Monsieur a décidemment tout compris de la BD.