L'histoire :
2012, élections présidentielles… Un journal dessiné des élections ? Non jamais ! Sfar n’en veut pas… Déjà que dans l’atelier qu’il partage avec quelques confrères, Blain fait des livres sur de Villepin et que Sapin se la joue diariste officiel de François Hollande. Il ne manquerait plus qu’il s’y mette lui aussi. Hein ? Comment ? Philippe Lioret a 40 de fièvre et il vous a planté au dernier moment… Sfar est le seul dessinateur ultra fiable capable de tomber 5 pages en 24 heures… Bon alors Sfar dit oui. Mais attention, il va pondre un petit truc sympa du genre : chat sur l’épaule, ukulélé et déclinaison politique marrante à tout va. Et comme il n’est pas question de se contenter de la politique et des élections, attendez-vous à quelques réflexions sur des mecs au chuintement énervant, à quelques pensées sur le cinéma ou la description minutieuse des avancées technologiques en matière de litière pour chat. Bref, de quoi faire digresser son quotidien à volonté avec l’art et la manière.
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Après ses Carnets (9 opus publiés chez L’Association puis chez Delcourt de 2002 à 2008), Joann Sfar nous offre son Journal de merde, un épais « machin » de 400 pages en partie pré-publié sur Télérama.fr de mai à novembre 2012. Il y fourre tout, furieusement, à grandes lampées, persuadé de pouvoir ainsi un peu « (…) vider son sac. C’est ça en moins dans les oreilles de l’entourage direct qui n’en peut plus parce que même les meilleures éponges ne peuvent pas tout absorber ». Politique, observation ponctuelle à la table d’un bistrot, circonvolutions fulgurantes de l’imagination, rêves savoureux (et pas des tarabiscotés à la David B...), relation à l’écriture, relation à la musique, relation au dessin, plaie béante laissée par le cinéma, famille (présente et passée), enfance, religion, philosophie, masse média, poids de la contemporanéité, amour… Il nous laisse entrer dans l’intimité de sa réflexion, au tempo d’une harmonie boulimique, tantôt douloureusement drôle, frappée du bon sens ou joyeusement pessimiste, mais toujours limpide de sincérité. Différences entre testicules américaines et européennes côtoient le feuilleton du « tournera-tournera pas » Les Lumières de la France (et l’abandon de la BD éponyme ?). Zigouillages des racismes ordinaires, de l’incompréhension des pratiques religieuses ou des flonflons mollassons de la gauche à peine ressuscitée se tapent compulsivement contre les cuisses de quelques jolies actrices rencontrées ici ou là ou ronronnent entre les pattes de quelques chats. Le bouillonnement créatif perpétuel et l’insoluble question du comment l’exprimer (dessin, roman, cinéma ?) jaillissent à coups de crayon nerveux, d’esquisses feignasses ou d’aquarelles qui mettent à genoux. Bref, le fourmillement est constant, souvent foutoir et foutraque, parce qu’il s’interdit d’aller au-delà du premier jet. Mais aussi étonnant que cela puisse paraître, il reste d’une fluidité et d’une lisibilité absolue. Certes, ceux qui n’ont jamais rien voulu savoir de Sfar ne se réconcilieront pas ici avec son art, tant ce jaillissement aussi brutal qu’apparemment incontrôlé, cette croûte fécale (normal pour un Journal de merde …) a le talent d’éloigner les peu curieux. Les autres se régaleront de ce bel échange en solo pour se convaincre une fois de plus de la maestria de ce drôle d’artiste multiformes, surtout quand il s’agit de raconter.