L'histoire :
Mat est un adolescent qui joue si bien au foot, qu’il serait bien facile pour lui de devenir le copain préféré de toute la petite bande du quartier. Mais après les matchs, il a toujours un tas de trucs à faire. L’un d’entre eux, est de se rendre dans une petite cabane dont lui seul connait l’endroit. Il y cache un aigle blessé qu’il nourrit et soigne en cachette. Un autre truc est aussi la corvée du retour à la maison pour subir les sempiternels reproches de son père. Il lui reproche en particulier ses fréquentations. Pensez ! Des voyous, ou pire encore : des arabes ! Lui faire ça à lui, qui a combattu leurs parents pendant la guerre d’Algérie : une ignoble trahison… Alors plutôt que de l’entendre déclamer son couplet raciste, primaire et haineux, Mat fuit la cambuse en direction du pont pour se laisser étourdir par le flux autoroutier. Ensuite, il gagne le port pour grimper sur le pont d’un bateau en réfection. Là, il se laisse aller, la tête ébouriffée par le vent… Le voilà aventurier, apercevant une île au lointain. Le voici explorant la grève et bientôt capturé par une tribu indienne et sa belle princesse aux cheveux noirs de jais…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Essentiel, court et intelligemment silencieux, cet autre récit du talentueux Edmond Baudoin atteint très facilement sa cible – à l’image de Piero – en touchant avec justesse notre sensibilité. Sans artifice – si ce n’est le trait tantôt fin ou épais et saturé de mouvements – on se laisse alors faire par une histoire adolescente aux accents rugueux... Mat est solitaire et taiseux. Il aime jouer au foot à l’ombre des cités HLM d’une banlieue bigarrée. Il cache un aigle blessé dans une cabane perdue. Il se love dans des rêves éveillés. Et se laisse bercer par le murmure enivrant du ruban autoroutier qu’il observe depuis un pont. Tout ça pour éviter de pleurer sur son sort. Un sort imbibé par une relation complexe avec son père. Eclats d’humeur, absence manifeste d’intérêt du père pour son fils et relents racistes insupportables (à renforts de souvenirs de la guerre d’Algérie) sellent une impossible communication. Et puis viendra Elodie, petit point lumineux salvateur tout aussi fragile, mais donnant à Mat une force qu’il n’attendait pas. Habilement mis en scène par un noir et blanc soulignant impeccablement la charge émotionnelle des enjeux et une gamme de métaphores explicites, le double jeu relationnel est très justement exposé. La naissance du sentiment amoureux se veut alors l’écho de la métamorphose de la relation père-fils, au détriment des solutions refuges mises jusque-là à la disposition de l’adolescent. Essentiellement touchant, le portrait sensible de cet adolescent permet avant tout de faire quelques pas supplémentaires dans l’univers encré de Baudoin. Et pourquoi pas de donner envie de se l’approprier un peu plus encore.
