L'histoire :
À 22 ans, Albert Kahn, né Abraham Kahn, propose à la banque Goudchaux & Cie des investissements audacieux : mines Sud-africaines, chemins de fer en Asie, nouvelles technologies... En 1891, il devient associé de la banque, acquiert une propriété à Boulogne-Billancourt et crée un jardin inspiré des paysages du monde entier. Guidé par le philosophe Henri Bergson, il obtient son baccalauréat puis sa licence de droit. Fidèle à ses racines alsaciennes, mais tourné vers l’avenir, Kahn mène une vie discrète et intense, au service de projets profondément humanistes. Avec les bourses autour du monde, il envoie de jeunes observateurs, homme comme femme, étudier les cultures étrangères, avec un mot d’ordre : « Oubliez tout ce que vous avez appris, gardez les yeux ouverts ». Il rêve de constituer un inventaire visuel de la vie ordinaire, persuadé que l’image peut lutter contre l’oubli. Il collabore avec le géographe Jean Brunhes, fonde une chaire de géographie humaine, engage photographes et artistes. Mais la première guerre mondiale éclate. Les ambitions se figent, les témoins deviennent soldats. Puis vient 1929, le krach, les biens saisis, les projets à l’arrêt. Et Albert Kahn… disparaît peu à peu de la scène.
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Hormis sa couverture, qui évoque celle d’un manuel scolaire d’histoire-géographie des années 1990, cette biographie s’avère particulièrement enrichissante pour quiconque connaît peu, voire pas du tout, Albert Kahn. Pour beaucoup, ce nom évoque surtout les célèbres jardins de Boulogne, encore ouverts au public aujourd’hui. Mais qui était vraiment Albert Kahn ? Un banquier, certes. Un homme fortuné, assurément. Mais il ne se résume pas à cela. C’est précisément le pari, audacieux mais réussi, que relève Didier Quella-Guyot : dresser le portrait d’un homme aussi énigmatique que discret, réfractaire à la célébrité, et dont on ne conserve que peu de traces personnelles. Passionné de bande dessinée et d’histoire, l’auteur a déjà publié de nombreux ouvrages mêlant fiction et contexte historique. À la fin de ce livre, un entretien permet de mieux comprendre sa démarche, son intérêt pour Albert Kahn, ainsi que la vision qu’il souhaite transmettre. Le récit est didactique, accessible, et nous en apprend beaucoup sur l’homme et sur les multiples projets philanthropiques qu’il a initiés, animés non par le profit mais par une volonté sincère de partage. À la lecture de cet ouvrage, on ne peut qu’éprouver de l’admiration pour cette figure profondément altruiste, pacifiste et ambitieuse. Le fil narratif est construit de manière à mettre en lumière ses entreprises humanistes, davantage que son parcours professionnel de banquier. Quant à sa vie privée, elle est peu évoquée, tout simplement parce que, comme l’explique l’auteur, il existe peu de documents à ce sujet. Ce qui compte ici, ce ne sont ni ses liaisons, ni l’enfance de l’homme : ce sont ses idées, sa vision du monde. Albert Kahn n’était pas tourné vers lui-même, mais vers les autres. Le dessin de Manu Cassier, sobre et classique, accompagne efficacement le propos biographique. On y trouve de nombreux gros plans sur les visages, un contraste intéressant avec la personnalité d’Albert Kahn, tournée vers l’universel. Ici, on choisit de se focaliser sur l’homme et ses idées. Un ouvrage éclairant, qu’on rêverait de placer entre les mains de tous les grands fortunés : la richesse peut, elle aussi, être mise au service de causes profondément humanistes.
