L'histoire :
L’hégémonique et charismatique roi Alvar a vécu moult aventures familiales. Trompé durant des années par son meilleur lieutenant, il a tué son épouse, puis il s’est marié avec sa propre fille, qui lui a donné deux jumeaux… puis il l’a tuée également. Aujourd’hui, après avoir choisi d’éduquer Vaal, le fils qui lui ressemble le plus (l’autre fils, Aram, se retrouve alors éduqué par des loups), Alvar a repris son trône et ses ambitions belliqueuses. Son ennemi, le roi voisin Honin, qui lui dispute la possession du rocher de cristal – planté pile entre les deux royaumes – est lui aussi doté d’une puissante armée. La guerre tout juste déclarée promet donc d’être âpre et majestueuse. Alvar est certain de l’emporter, car son dieu Kosmath le protège. Cependant, une fois sur le champ de bataille, tandis que les deux rois débutent l’affrontement par un combat d’homme à homme, les prêtres des deux camps les somment de mettre un terme à leur duel. En effet, leurs dieux rivaux ont une autre solution : plutôt que s’entretuer, ils devraient s’unir, car seul l’amour est fécond. Le fils d’Alvar devra épouser la fille d’Honin, ce qui donnera naissance à un gigantesque et magnifique royaume. Cette idée plait beaucoup aux deux rois, qui pactisent aussitôt, tels des frères. On présente alors la petite Mara, fille d’Honin, une belle fillette mais vrai garçon manqué, à Vaal, le fils hideux et complexé d’Alvar, avec une dysmorphie du pied. Mara est clairement écœurée et Vaal n’est guère emballé non plus. Mara décide de vouer entièrement son éducation au combat, afin de tuer Vaal le jour des noces, si on l’oblige à l’épouser…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Depuis le début de cette tumultueuse saga royale, il est arrivé un sacré paquet de bouleversements familiaux dans l’entourage du roi Alvar. En deux tomes, il a eu le temps d’être dupé et de se venger, de s’accoupler avec sa fille puis de la tuer. Tour à tour, il a subi et provoqué des tragédies, en mettant toujours immédiatement en œuvre les décisions les plus extrêmes. Il est passé de la tyrannie à l’ascétisme, s’est auto-castré, a fait le ménage autour de lui, puis le revoilà aux affaires. Que peut-il lui arriver de pire et de plus démentiel ? C’est sans compter sur les grandes capacités de conteur d’Alejandro Jodorowsky, qui n’a pas son pareil pour repousser les limites de l’humainement acceptable et pour surligner la symbolique. Le rejeton Vaal est cette fois le personnage fort (et immonde) de l’opus, entouré de son apollonesque frère jumeau (en couverture) et de Mara la belle guerrière à qui il est promis… mais qui ne va pas se laisser faire. A fond dans l’excès, on vous dit. On retrouve donc toutes les thématiques qui sont chères au scénariste : les difformités du corps, les giclées de sang, la puissance mystique, les velléités despotiques et surtout cette narration directe et brute de décoffrage, qui fait sa griffe. En effet, une fois de plus chez Jodo, le récit file sans s’embarrasser de tergiversations romantiques ou psychologiques. Certains trouvent le procédé basique ou balourd, ce qui n’est pas faux. Reconnaissons tout de même son grand mérite : l’histoire se dévore littéralement et permet de faire rapidement et limpidement avancer de nombreux paramètres de cette belliqueuse saga familiale aux relents médiévaux. En prime, Jodo s’adjoint une nouvelle fois les talents artistiques réalistes du chinois Dongzi Liu. Ses cases demeurent splendides et d’une belle régularité pour rendre les champs de batailles majestueux, les corps-à-corps dynamiques, les armures rutilantes, les faciès tourmentés, avec juste une fâcheuse tendance à trop souvent cadrer les visages de près (pour s’épargner de détailler un décorum gothique mais sans époque ?). La saga symbolique et guerrière se poursuivra dans un 4ème opus, dont le titre est parfaitement raccord : Vengeance et rédemption…