L'histoire :
Paris, 1913. Trois députés socialistes, Mérilleux, Lampoit et Jaurès, sortent tardivement de l’assemblée nationale, où les débats avec les nationalistes font rage. Tandis que Jaurès rentre terminer un article pour l’Huma, Lampoit se fait raccompagner par son chauffeur. Mais en lieu et place de son fidèle Martin, le député trouve un inconnu au volant. Ce dernier le séquestre dans le véhicule et le conduit de force jusqu’à un quai de Seine désaffecté. Après une marche dans le dédale des égouts parisiens, Lampoit découvre son ravisseur, au sein d’un bunker high-tech. Il s’agit de Tanâtos, le célèbre bandit masqué, le génie du mal dont les exactions font les gros titres de la presse. A l’aide de techniques invraisemblables, Tanâtos fait un moulage du visage de Lampoit, enregistre sa voix et… emprunte ainsi à la perfection l’identité du député. La même nuit, le sombre Tanâtos et son fidèle homme de main Tue-la-peur vont s’installer dans la somptueuse demeure du député Lampoit. Le lendemain matin, Tanâtos/Lampoit doit éprouver son déguisement face au détective Louis Victor, de l’agence Fiat Lux. Le cadavre du chauffeur est en effet remonté à la surface plus tôt que prévu…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Dans ce premier volet, le scénariste Didier Convard met en place un univers « uchronique » qui ne ressemble à nul autre. En gros, Tanâtos propose de suivre les manigances politiques (et extravagantes !) d’un super héros profondément négatif sous la France de Jaurès, dont les méfaits seront déclinés sous forme de feuilletons. L’idée est originale et parfaitement assumée. Le contexte historique est celui de la course à l’armement européenne, à la veille de l’assassinat de l’archiduc François-Ferdinand à Sarajevo (déclencheur de la 1ère guerre mondiale). L’occasion pour Convard de rendre un hommage appuyé à Jean Jaurès et de mettre en exergue l’aberration d’une telle guerre. Pourtant, en cherchant à coller à l’esprit des comics américains, la série embrasse explicitement les anachronismes, sans s’encombrer de la réalité historique. En cette année 1914, on croise en effet un aéronef high-tech, des systèmes de télécommunication inouïs (magnétophone, fax, relais téléphonique), le tout dans un style néo-belle époque-gothique plutôt sympatoche. Pour la dégaine et les engins high-tech fabuleux chromés noirs, on pense au décorum steampunk de Batman. Pour les multiples identités, les interférences politiques et les liens journalistiques, on pense plutôt au franchouillard Fantomas. Ces aspects fantasques forgent à la fois l’atout et les limites de cette mise en bouche, qui a néanmoins l’avantage de dénoter dans notre paysage bédéphile, bien loin des sentiers battus. De même Jean-Yves Delitte – l’homme qui dessine (bien !) plus vite que son ombre – révèle une nouvelle fois ses grandes forces et sa faiblesse désormais récurrente. C'est-à-dire que ses encrages sont sublimes, décors, costumes, machines fabuleuses (génial !), de loin, de près, en large, en travers… à l’exception notable des visages, toujours les mêmes, tous se ressemblants un peu les uns aux autres...