L'histoire :
Martin est pianiste dans un bar à striptease, les « Naïades ». S’il a choisi ce job, ce n’est pas pour y reluquer le déhanché de belles filles dénudées – sur ce point, Martin est blasé – mais plutôt pour chatouiller le répertoire de Thelonious Monk, son artiste de jazz favori, et aussi pouvoir fumer tout le temps. Son médecin l’a pourtant prévenu : c’est par là qu’il partira, mais Martin s’en fiche bien. Et puis le tabac, ça fait de jolies voutes de fumées, qui l’inspirent et correspondent au lieu. Il y a tout de même une fille dont le regard l’émeut, c’est Jeanne. Elle allume Martin de temps en temps, l’après-midi, tandis qu’il s’échauffe. Elle s’accoude sur son piano, juste à côté de la statuette de Saint-Christophe qu’il considère comme son protecteur. Elle lui fait comprendre qu’elle en a assez du patron, Monsieur Frognard, un tyran, un ancien militaire qui verse visiblement dans de sombres magouilles et collectionne les chapeaux. Et puis un jour, Jeanne demande à Martin de tout plaquer, de fuir ensemble, et avec la DS du patron… et Martin accepte ! Les voilà qui se sauvent, main dans la main, en direction d’un « pèlerinage » à Saint-Jean-d’Or-les-Pins, à la chapelle Sainte-Mariette, la patronne des strip-teaseuses… Chemin faisant, ils s’aperçoivent en ouvrant le coffre de la DS, qu’ils ont fauché involontairement un plein bidon de billets verts à Monsieur Frognard. Ce dernier est d’ailleurs déjà à leurs trousses, furieux, un sabre de Cochinchine à la main…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
N’en déplaise au titre, que les amateurs d’érotisme passent leur chemin : ils ne verront pas l’ombre d’un sein à travers ce petit one-shot au format souple. Topless, c’est plutôt à la fois un polar d’ambiance, une aventure romantique et un road-movie à la française. En trois « épitres » (le contexte, la fuite enivrante, les comptes à rendre) plus un épilogue, le scénariste Arnaud le Gouefflec livre là un petit bijou de narration, un roman graphique mâtiné de polar, inscrit dans la nouvelle collection 1000 feuilles. Il en va du scénario comme d’un morceau de jazz : d’un thème donné, suave et emballant, le Gouefflec décline de subtiles variations, pour former finalement un ensemble parfaitement équilibré. Au fil de la lecture, on s’aperçoit que tout n’est que symbole, que les éléments s’imbriquent entre eux avec une harmonie rare. Le titre, le job, le Saint-Christophe, le voyage, le final… c’est proprement virtuose ! Les dialogues, la voix off sont au diapason, et la conclusion abandonne le lecteur dans une profonde mélancolie. Au dessin, Olivier Balez livre une partition qui colle parfaitement au thème. De ses encrages épais et stylisés, rehaussés la plupart du temps d’une colorisation bichromique ad hoc, se dégagent presque des volutes de fumée et des petites notes de piano. Tant pis pour le jeu de mot, c’est vraiment balaise.