L'histoire :
De nos jours, Jeff, à peine trente ans, débarque dans un centre de repos de Mulhouse, situé dans un quartier calme. Son métier l’amène à être limite burn-out, il a besoin d’une semaine de rupture totale avec le monde professionnel. Il compte bien profiter aussi de cette semaine pour arrêter le GHB, cette drogue de synthèse qui booste ses performances et optimise ses courtes heures de sommeil. Or dès la première nuit, son voisin de chambrée pousse un cri. Jeff est insomniaque, il sort donc dans le couloir et lui rend visite pour voir si tout va bien… Il découvre un vieil homme bedonnant enfoncé dans son fauteuil, qui vient de faire un cauchemar. Le vieux lui propose un verre de vin, en contrepartie d’une confession sur ses jeunes années. Le vin est délicieux, donc Jeff écoute. Le vieux raconte le mois de juin 1940. Son père, viticulteur près de colmar, venait de murer toute une partie de sa cave, afin que les boches ne le spolient pas de son bon vin. Son frère Antoine venait d’être libéré, après quelques semaines d’emprisonnement, suite à la victorieuse blitzkrieg allemande. Sa sœur Fina, professeur dans un collège, était ravie de le retrouver, mais s’inquiétait de l’annexion de sa région par l’Allemagne. Pour Antoine et Fina, l’Alsace était et resterait toujours française. Lui, François Engel, le plus jeune de la fratrie, subissait de plein fouet la propagande pro-allemande de son professeur d’Histoire-Géo. A cette époque, il fallait saluer « Heil Hitler ! » au début de chaque cours…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
La problématique patriotique alsacienne durant la seconde guerre mondiale a déjà fait couler beaucoup d’encre et entre autre donné lieu à d’excellentes séries BD (on pense à Malgré nous et au Voyage de Marcel Grob). Et ce n’est pas terminé… pour preuve cette nouvelle histoire qui confronte les membres d’une même famille de viticulteurs à des opinions opposées. Comme souvent dans les révélations des honteux secrets de famille, le scénariste Stéphane Piatzszeck introduit son récit par un flash forward à notre époque, avant de dérouler la grosse majorité de son intrigue dans le passé. Nous sommes en 1940 et l’Alsace vient d’être annexée par l’Allemagne. Cette région, qui n’a eu de cesse d’être partagée entre les deux nations au cours de l’Histoire, avait forcément des partisans des deux bords… et donc ici, au sein d’une même famille. Le scénario prend le temps d’inscrire logiquement les positions psychologiques des personnages et il focalise notamment sur la mécanique du lavage de cerveau, avec les jeunesses hitleriennes. Peut-on considérer un jeune en formation, manipulé par son professeur, comme coupable de traîtrise envers une nation ? Le joli dessin semi-réaliste d’Espé est parfaitement documenté sur l’époque quant à ses éléments de décor et soigné au niveau des regards et postures des personnages. Au fil des pages, la tragédie se creuse. Si on sent bien venir le sens de l’Histoire dans la longue séquence sous l’occupation, le scénariste révèle dans son cliffhanger un double niveau d’intrigue, façon thriller un peu flippant… Vivement la suite !