L'histoire :
Bordeaux, Mars 1935. Au regard des bons résultats scolaires de Jacques, son père, chauffeur de taxi à son compte (pour n’être soumis à aucun patron), espérait mieux. Cependant, ce matin là, il n’hésite pas à l’accompagner aux chantiers maritimes du sud-ouest, rue Blanqui, pour signer son contrat d’apprentissage. Jacques est immédiatement confié aux bons soins de Bertin, un ouvrier attentif qui règne en cador sur l’atelier de traçage. Avec Bertin, Jacques apprend vite le maniement des outils et l’art de la précision. A 16 heures, trois fois par semaine, l’adolescent retrouve, pour deux heures, les autres apprentis qui se préparent au CAP. Jacques est bon élève, il n’a aucune difficulté. Car s'il a quitté l’école, c’est uniquement parce qu’il voulait gagner sa vie rapidement. Chaque jour, pour se rendre à l’usine, il utilise le tram. Or, rapidement, les frais engendrés le contraignent à remettre en état le vieux « biclou » rouillé et poussiéreux du paternel. Même si la vie d’apprenti est loin d’être facile, Jacques n’est pas le plus à plaindre. Comme les autres, il est certes corvéable à merci... mais contrairement à certains, il ne subira pas d’humiliant bizutage…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Le temps d’un album, Bruno Loth met sous dessins et phylactères quelques instantanés de la vie de son père Jacques, entre chantier naval, rue du centre ville, mansarde transformée en atelier de dessin et campagne bordelaise. Période marquante pour Jacques Loth (et ayant certainement alimentée nombreuses discussions avec le fiston), ces 2 années d’apprentissage, de 1935 à 1937, permettent au père et au fils de nous brosser habilement une photographie de la France d'avant-guerre. Tout est là, posé à notre bon vouloir, sans nous forcer la main, pour prendre acte du passé. On ouvre alors nos narines, pour tenter d’humer une vie d’« arpette ». On goute aussi les mouvements sociaux, le « Front Popu » de Blum et plus globalement l’atmosphère politique ambiante. On se laisse enfin faire par cet ado qui foule, avec envie, le chemin de sa vie d’adulte, entre rugosité de l’usine, place qui est faite à l’apprenti, école, altruisme, soif de culture et premiers émois sexuels ou sentimentaux. L’ensemble est particulièrement agréable à parcourir, comme un bon témoignage d’une jeunesse pris sous le feu d’un contexte socio-historique particulier. On regrettera cependant que l’ensemble (par pudeur ou parce qu’il est difficile d’entrer dans les détails, plus de 70 ans après) garde ses distances, sans jamais jouer la carte de l’émotion. Pour les petits curieux que nous sommes, notre petit héros ne se livre jamais réellement. Le dessin est, quant à lui, particulièrement élégant. Le choix de la colorisation est, à ce titre, judicieux, pour un ensemble très vivant. Un carnet alimenté par des photographies familiales commentées ponctue parfaitement l’album. Alors, pourquoi ne pas jouer à son tour avec la mémoire et le passé de ses propres parents ?