interview Bande dessinée

Bruno & Corentin Loth

©La boîte à bulles édition 2020

Bruno Loth roule sa bosse depuis une quinzaine d’année. Fondateur de sa maison d’édition, Libre d’Images, il collabore depuis longtemps avec la Boîte à Bulle et écrit et dessine systématiquement des histoires d’hommes. Des « petites histoires » dans la grande Histoire. Pile un an après le bouleversant Guernica, sort l’étonnant Viva l’Anarchie. C’est en compagnie de son fils Corentin, qui est désormais le coloriste avec lequel il travaille, et autour d’un verre, que nous les avons interviewés ensemble, à Angoulême.

Réalisée en lien avec l'album Viva l'anarchie !
Lieu de l'interview : Festival d'Angoulême

interview menée
par
24 février 2020

Bonjour Bruno et Corentin. L’année dernière, vous avez publié chez la Boîte à Bulles, en collaboration avec votre propre maison d’édition Libre d’Images, Guernica. Avant d’y revenir, pouvez-vous nous dire quel a été, pour chacun d’entre-vous, le chemin qui vous a conduit à être des auteurs de BD ?
Bruno Loth : Tout petit déjà, je dessinais des cowboys sur des chevaux, j’avais quatre ans. Et comme mes premières facilitations sont venues de ma maîtresse d’école « houlala, il dessine bien », c’est à partir de là où tout a commencé. C’est-à-dire que je n’ai voulu faire que cela, dessiner. Alors j’étais tout au fond de la classe et je dessinais. Pas que des chevaux, mais quand les autres gamins dessinaient des bonhommes-patates, moi j’avais fait un cavalier, qui m’a valu mes premières félicitations. Et c’est ça qui m’a poussé à m’exprimer plus avec le dessin… Bon, ça, ce n’est pas encore la Bande Dessinée, mais c’est déjà pourquoi un gamin choisit de dessiner. Un jour il a eu un déclic… Ça peut être le dessin, comme ça peut être la musique : un jour, le gamin joue de sa flûte et les adultes le félicitent, et le gars, après, devient musicien. Donc premier principe, fondateur, ok. Et puis passée la maternelle, je continue à dessiner et puis toute mon enfance. J’ai même des anecdotes rigolotes : je disais à ma mère « Dis à mes copains que je suis puni parce que je veux rester dans ma chambre à dessiner », tu vois… des trucs comme ça. Quand ils venaient pour jouer avec moi, elle jouait le jeu « Ah non ! Il ne peut pas sortir, il est puni aujourd’hui ». Voilà, je restais à dessiner. Je recopiais pas mal les BD, Pif et le Journal de Tintin, dont j’ai découvert les albums plus tard. Mon père étant ouvrier, il y avait un CE dans son entreprise et il me ramenait des bandes dessinées. C’est à travers ces BD que j’ai fait toute ma culture de l’époque de ces classiques que sont Astérix, Lucky Luke, Gaston… Et ça a continué à l’adolescence, durant laquelle je suis « monté » plusieurs fois à Paris, mon carton à dessins sous le bras, avec des planches. A chaque fois, j’allais voir des éditeurs comme Métal Hurlant, Fluide Glacial et d’autres encore. Et j’ai commencé à avoir des critiques de Dionnet, Manoeuvre, j’ai rencontré des dessinateurs dont Jean Teulé… J’étais un minot qui arrivait avec l’accent bordelais et ça les faisait bien marrer. Finalement, j’ai fait du dessin. Je n’ai pas percé très vite dans la BD, par contre j’ai vécu du dessin. J’ai fait du dessin d’illustration, jusqu’à l’âge de 45 ans. Et en 2000, au lieu d’aller voir des éditeurs, je me suis dit que j’allais m’auto-éditer. Parce que je n’avais pas envie de faire la queue à Angoulême pour présenter mes trucs, je trouvais que j’étais trop vieux pour ça (il rit). Et c’est ce que j’ai fait pendant 5 ou 6 ans. Et puis ensuite il y a eu La Boite à Bulles, qui m’ont rencontré sur un salon et qui m’ont proposé une coédition. Voilà. Aujourd’hui je suis auteur à La Boite à Bulles, toujours avec mon petit label, Libre d’Images. On a fait une dizaine d’albums.
Corentin Loth : Bon, moi je ne suis pas dessinateur, je suis coloriste. La BD, j’ai baigné dedans depuis tout petit, grâce à mon père. Un père auteur de BD ? Ça vous fait grandir avec elles et celles, très nombreuses, qui étaient sur les étagères. Et très vite, les outils informatiques m’ont attiré. Quand j’étais gamin, mes jeux vidéo, c’était un peu Photoshop ! Puis les logiciels de 3D sur lesquels je passais énormément de temps. Mais jusqu’à 23 ans, je ne faisais pas du tout de BD : j’étais animateur avec des enfants. Jusqu’au jour où mon père m’a proposé de faire un essai pour des couleurs. Ado, j’avais déjà fait des couleurs pour Ermo et puis pour sa BD John Bost, il m’a dit qu’il avait besoin de moi. Et comme ça c’est super bien passé, qu’on s’est super bien entendu, le projet a abouti et du coup, je le suis sur tous les salons et sur toutes ses BD ! Voilà, je fais ses couleurs et je suis là (il rit).

Dis-moi si je me trompe, mais un coloriste sait aussi dessiner. Coloriste, c’est une fonction, mais j’ai bien du mal à croire que tu ne dessines pas !
Corentin : Oui, bien sûr que je dessine, mais ça reste personnel. Je le fais pour moi. Je veux dire que je n’ai pas de projet professionnel en tant que dessinateur. C’est vraiment le côté informatique qui me plaît. Je travaille à la tablette graphique. Peut-être que plus tard, je serai amené à faire plus de dessin, mais pour l’instant, je suis vraiment là-dessus et c’est quelque chose qui me plaît vraiment.

Quelles sont vos influences ?
Bruno : Pour moi, les influences sont quelque chose dont on ne se rend pas compte. On vit avec des images, on lit des BD, évidemment… Moi j’ai découvert mes influences grâce à mes lecteurs. Souvent, mes lecteurs m’ont ramené à d’autres références. On m’a souvent dit « Ça me fait penser à Tardi, ce que vous faites ». Et moi je répondais « Ohhh, non pas du tout ! ». Et puis en fait, je m’avouais que Tardi, j’avais vraiment adoré quand j’étais ado. J’ai adoré Ici même. Quand je l’ai lu, je m’étais dit que c’était ce genre de BD que je voulais faire. Et après, j’ai complètement oublié et j’ai fait, pendant des années, je le disais tout à l’heure, de l’illustration. C’était du travail de commande, dont beaucoup pour la pub. Et on me disait, en me montrant un dessin : « il faut faire ce style de dessin ». Donc je faisais ce qu’on attendait de moi et je croyais que je n’avais pas de style. Et quand j’ai fait de la BD, j’ai adopté un style qui, en réalité, était quelque chose le plus décontracté possible pour moi. Quelque chose de spontané, et finalement, de loin, ça ressemble peut-être un peu à Tardi. Et puis il y a d’autres influences. Personnellement, je sais que je suis très influencé par le travail de Hergé. Mais qui ne l’est pas, dans la Bande Dessinée ? Je trouve qu’il a tout amené, du moins amené beaucoup à la BD Franco-Belge. Hergé, c’est évidement la ligne claire… à travers lui, j’ai aussi adoré Chaland. Aujourd’hui, un des fils de Hergé, c’est Emile Bravo, que j’aime aussi beaucoup. J’ai adoré son dernier Spirou, l’autre avant aussi… Donc pour résumer, des influences, je ne cherche pas à en avoir mais on en a tous. Il y a des auteurs dont on ne retrouve pas du tout l’influence dans mon dessin mais qui moi, m’ont influencé. Loisel par exemple. Mais après, si on creuse, on va peut-être trouver des façons de dessiner comme Loisel. Ce que j’aime en lui, c’est que son dessin est très spontané, assez vivant et c’est aussi ce que j’aime faire dans la BD : arriver à donner au lecteur une impression de chaleur humaine. Cette chaleur humaine, on la trouve chez Loisel. Et dans mes BD, je crois qu’elle y est aussi. Moins dans le dessin que Loisel, mais dans le scénario, beaucoup. Je vais chercher des histoires, par exemple dans Guernica, c’est la guerre d’Espagne, mais ce n’est pas la guerre qui m’intéresse Ce qui m’intéresse, c’est d’être au plus près des gens, d’exprimer ce que des hommes ont ressenti à ce moment-là. Dans cet album, tout est au plus près de la guerre d’Espagne, évidement, mais on est au cœur de l’Humain. Enfin, c’est ce que j’essaie de faire…

Toi, Corentin, est-ce que tu as eu une « rencontre » avec un artiste dont les couleurs t’ont flashé ?
Corentin : Pas particulièrement, même si j’adore aussi ce que fait Loisel. Rosinski aussi : j’ai grandi avec Thorgal. Après, je ne peux pas définir vraiment un coloriste ou un dessinateur qui m’influence, mais peut-être plus des peintres. Henri Rivière, ça me parle beaucoup, j’adore son travail. J’essaie de m’inspirer de couleurs douces, je n’aime pas du tout ce qui est trop criard. J’essaie de faire quelque chose de doux et léger. C’est ce qui me plaît…

Copyright Bruno LothParlons de Guernica, un album qui décrit le sort des basques en particulier, pendant la guerre civile. Comment est venue l’idée de faire cet album et combien de temps cela vous a pris ?
Bruno : Ma première BD parlait déjà de la guerre d’Espagne. C’était Ermo ; les fantômes d’Ermo, qui a été réédité chez la Boîte à Bulles. Pour resituer, ça se passe les six premiers mois de la guerre civile. On n’y parle pas de Guernica. Guernica, c’est avril 1937, alors qu’Ermo se passe de juillet à décembre 36. Et des lecteurs me posaient la question : « Est-ce que vous parlez de Guernica ? » Etc. Parce que Guernica, c’est un symbole. C’est l’évènement le plus connu de la guerre d’Espagne. Et ça m’a travaillé, cette remarque ! Et c’est vrai que j’ai une admiration pour Pablo Picasso… Alors j’ai eu comme un déclic. En plus de ça, comme je fais beaucoup de recherches iconographiques et de recherches historiques, en travaillant sur l’histoire de la guerre d’Espagne, je suis tombé sur le petit film d’actualité de l’époque, sur le bombardement de Guernica, qui a été projeté quelques jours après dans les salles de cinéma. Des reporters sont sur place, ça fume encore, des maisons sont encore en flammes… Ces maisons en train de brûler qu’on retrouve dans le tableau… Il y a un cheval mort dans le reportage et c’est le centre du tableau, bien sûr… On voit des gars qui sont en train de sortir, avec un palan, un taureau encore vivant qui était enseveli sous les décombres. Ce taureau, on le retrouve aussi dans le tableau de Picasso. On voit des femmes en pleurs, des morts alignés le long du trottoir, on voit tout ça dans ce reportage et je me suis dit : « C’est sûr et certain, Picasso a dû aller au cinéma ! » Il adorait aller au cinéma et à l’époque, avant la séance, on avait toujours les actualités. Les gens allaient deux ou trois fois par semaine au cinéma. Ce n’était pas comme maintenant où on y va une fois par mois peut-être, ou une fois par semaine. Mais ils n’avaient pas la télé : ils avaient la radio et le cinéma. On voit tout cela dans le reportage. Donc je suis persuadé que Picasso est allé au cinéma et a vu ce reportage. Et je suis parti de ce postulat. Du coup, j’ai fait vivre les personnages que Picasso a peut-être vus et qu’on retrouve dans le tableau. Je suis parti de chaque personnage : la femme avec son enfant, qui est mort dans le tableau de Picasso, donc qu’on retrouve mort dans l’histoire. Etc etc, le soldat mort… Alors qui sont ces gens ? Il y a la vieille dame, qui porte la lumière. Qui sont ces gens ? Voilà, c’est le début du scénario.

Copyright Bruno Loth


Corentin, la question est incontournable, car Guernica, évidemment, dans la culture populaire, c’est Picasso et son choc visuel. Comment tu t’es positionné par rapport aux couleurs du peintre ? En décidant de faire quelque chose de différent, en reprenant quelque chose de lui pour le traduire différemment ?...
Corentin : Hé bien, justement, au départ, j’étais parti, enfin, on était parti, avec Bruno, sur des formes très géométriques, sur des couleurs à sa manière mais ça ne collait pas au dessin. Donc j’ai opté pour quelque chose de bien plus classique et au final c’est ce qui convient le mieux : des couleurs simples et douces, plus en phase avec la réalité. Pour coller au mieux à celle de l’époque. Et cette histoire est horrible, mais justement, les couleurs douces amènent un contraste dans la narration graphique avec la violence de l’évènement.
Bruno : Si je peux rajouter quelque chose sur la couleur : ce qu’a réussi Corentin, et j’adore, c’est qu’il fait des couleurs sombres mais douces. Lui parle de couleurs douces et on imagine des trucs très pastels, mais effectivement si ça reste pastel, il amène des teintes sombres, des marrons, des ocres, des orangés qui donnent un style différent à mes dessins. Ça enrichit mes dessins et on se complète. Quand il parle de coloration classique, en fait je ne suis pas tout à fait d’accord. Ce n’est pas vraiment classique, c’est autre chose. Il a un style particulier, il a un sens de la couleur très développé.

Revenons à la narration stricto sensu : j’ai trouvé que l’album avait un rythme très scindé : la vie des personnages et d’un coup, la mort qui s’abat sur eux, d’un seul coup. Est-ce une interprétation de lecteur ou est-ce l’axe du livre ?
Bruno :Bruno : Non, c’est tout à fait ça ! La vie et tout d’un coup la mort. C’est ça… J’aurais pu raconter une histoire du bombardement. Des avions arrivent, ils bombardent. Non, je voulais justement raconter la vie. Ces gens qui meurent, le lecteur les connait et c’est là que ça devient dramatique. Car quand on ne connaît pas les gens, c’est quelque chose de trop lointain. On entend tant de morts en Syrie. Bon, c’est triste mais tout le monde s’en fout… Non, je n’espère pas que ça se passe comme ça, mais tu vois, c’est lointain. Et un peu anonyme, tu vois ce que je veux dire. Alors que si on suit ces gens-là… Il y a eu des reportages, par exemple, sur des jeunes syriens, qui étaient des casques blancs, qui allaient aider les gens après des bombardements. Ces jeunes-là, ils sont tous morts, ou presque tous, au fur et à mesure des bombardements. Et toi tu vois le reportage et quand tu apprends qu’ils sont morts, tu te dis… (silence). Dans Guernica, c’est un peu la même chose, parce qu’on connaît les gens, on les connaît personnellement, on connaît toute leur histoire, on les suit et d’ailleurs, ils se suivent les uns les autres, ils se croisent, comme ce berger qui arrive de la montagne avec son cheval à vendre, une jument. Il arrive sur la place du village avec son fils, et là, il y a un soldat qui passe et qui lui, a d’autres préoccupations. Ses chaussures sont toute trouées et il arrive chez le vendeur de chaussures et il y trouve une jeune femme qui essaie de le harponner pour faire sa vente mais qui tombe amoureuse de lui. C’est un coup de foudre et puis une heure après, il y a le bombardement. Voilà, chaque personnage va croiser le chemin des autres. C’est la vie d’un petit village et à chaque moment, on en connaît un peu plus des uns et des autres. Et puis arrive le drame, jusqu’à ce qu’on constate que Guernica est détruite. Là, on est sur la colline, il y a des réfugiés qui voient le drame. Parmi eux, un adolescent qui est sauvé et qui distingue au loin sa maison en train de brûler. Et il se demande : « Mais où est passée ma mère ? ». Alors ça paraît très mélo, tel que j’en parle, mais j’ai essayé de ne pas l’être… Il faut demander au lecteur si ça l’est ! Toi qui l’as lu, tu en penses quoi ?

Non, non, non. L’album est poignant, touchant, mais ça n’est justement pas mélo, au sens de jouer sur les émotions pour « faire » de l’émotion. Je n’ai pas trouvé que la narration jouait sur le mélo, mais en revanche, qu’elle traduit la brutalité de l’évènement, avec cette césure : la vie/la mort. Et tu parles des survivants mais tous partagent cela : ils ne sont pas morts mais leur vie a été massacrée.
Bruno :Voilà, c’est ça. Et ce n’est surtout pas ce que je voulais, avec le mélo… Et pour revenir avec la seconde partie de l’album, elle traduit aussi l’élan artistique de Picasso, qui va peindre. Et sa relation avec Dora Maar, qui est hyper importante pour la réalisation du tableau et les œuvres à venir de Picasso. Dora Maar, qui est la nouvelle compagne de Picasso, qui est photographe et qui va l’influencer, car elle est beaucoup plus engagée que lui. Elle va donc susciter le sien en lui emmenant des journaux, en lui disant : « Mais regarde ce qui se passe en Espagne » etc. Et lui, Picasso, est pris par une commande. Et il n’aime pas du tout les commandes. Il ne les aime pas car, comme il dit, il peint « avec ses tripes ». Mais la République espagnole lui a commandé une œuvre pour le pavillon de l’Expo Universelle de Paris et il ne sait pas quoi faire. Tout le début de la BD, Picasso cherche mais n’y arrive pas, car il est trop amoureux de Dora Maar. La seule chose qu’il a envie de faire, c’est la peindre. Alors il essayer de biaiser, en disant : « Je fais un portait de Dora Maar, qui pleure pour l’Espagne ». Mais finalement, il assiste au bombardement avec ce film que j’évoquais et il est touché, outré même. Alors il va être pris d’une frénésie créative. Il ne lui reste plus qu’un mois pour livrer sa commande et en un mois, il va réussir à faire une œuvre gigantesque, de 7,50 m sur 3,50 mètres et gigantesque aussi par l’effet qu’elle produit et le symbole qu’elle devient…

Parlez-nous de vos projets ?
Bruno :On a une BD qui vient de sortir et sera en librairie le 5 février 2020. Ça s’appelle Viva l’anarchie et c’est une histoire qui parle de la rencontre qui a eu lieu le 15 juillet 1927 entre plusieurs anarchistes, dont deux assez célèbres. Ce sont Buenaventura Durruti, anarchiste espagnol qui doit fuir en Amérique du Sud parce qu’il est recherché pour avoir assassiné l’Archevêque de Saragosse (même s’il n’a pas commis cet assassinat).

Copyright Bruno Loth

Il fuit avec son ami Francisco Ascaso et ils vont braquer des banques. Ils vont faire pratiquement tous les pays d’Amérique du Sud et vont amener le braquage dans certains pays, comme le Chili, où il n’y en avait jamais eu avant eux ! Et ils le font de façon assez originale en disant aux gens qu’ils trouvent dans les agences « Ce n’est pas après votre argent qu’on en a, mais après les banquiers ! Gardez votre argent, ne le confiez surtout pas aux Banques. Nous attaquons le capitalisme. On veut l’argent qui est dans le coffres bancaires, pas le vôtre, gardez-le sur vous. Nous exproprions le capital ! ». Et ils vont redistribuer cet argent. Ils ont fondé des librairies, des bibliothèques et même des orphelinats. Enfin, toutes ces œuvres sociales, ils les ont financées avec l’argent des braquages : ils ont confié de l’argent à des personnes qui en ont fait cela avec. Par exemple, ils ont permis le financement d’énormément de librairies libertaires, qui existent encore et qui ont pignon sur rue aujourd’hui. Il y a prescription ! (sourire) Je dois dire aussi qu’ils ont acheté des armes avec cet argent. Ils avaient une révolution à faire, à ce moment-là, en Espagne notamment. Mais ces armes ont été saisies par les autorités. Elles ne sont pas arrivées au « mouvement ». Enfin si, puisqu’elles étaient stockées dans un entrepôt, mais comme ils ont attendu pour faire la révolution, il y a eu une descente… Bref, il y a donc ce Durruti et Nestor Mahkno, qui était un révolutionnaire ukrainien. De 1917 à 1921, il a fait la « Révolution inconnue », qu’on nomme ainsi parce qu’elle a été écrasée par leurs « amis » bolchéviques, avec le concours de l’Armée Rouge dirigée par Trotski. Leur révolution a été maquillée car on les a accusés d’être des bandits sanguinaires, d’avoir fait des pogroms, alors qu’en réalité ils ont lutté contre ! Les pogromistes étaient du côté des Russes Blancs, aussi des Ukrainiens nationalistes qu’ils combattaient. A l’époque, les villages juifs ont fait l’objet de massacres. Je n’ai pas de chiffres, il faudrait se pencher sur les travaux d’historiens. Ces massacres ont existé, mais bien sûr pas avec l’ampleur qui caractérise l’extermination systématique avec, finalement, peu de temps après, les camps de concentration du nazisme. Mais déjà, à ce moment-là, il y a eu une grande souffrance des juifs. Makhno était entouré de potes anarchistes, juifs également. Et tous ont témoigné que l’accusation de pogroms anarchistes était une manipulation de Trotski. Donc je raconte un huis-clos, en présence de sept anarchistes ; trois femmes et quatre hommes, plus une enfant, qui est la fille de Makhno. Ils sont tous là, et chacun raconte son histoire. Parmi eux, il y a Louis Lecoin, autre anarchiste très célèbre, qui, notamment, est à l’origine de l’objection de conscience, au temps du service militaire. D’ailleurs, il a fait de la prison pour cela. Il a lutté contre la guerre d’Algérie, pour tous les jeunes qui tombaient sous le coup de la conscription, qui étaient destinés à faire leur service en Algérie, qui le refusaient et qui pour certains, sont aussi allés en prison. Bon, mais ça, c’est plus tard ! Là, on est encore en 1927 mais déjà, en 1921, au moment de la scission de la CGT, qui comptait parmi ses membres, indifféremment, des communistes et des anarchistes. Les communistes ont pris le pouvoir et un jour, durant un meeting, ils ont voulu interdire la parole aux anarchistes. Lecoin était courant de la manœuvre et il avait amené un revolver. Et même s’il était antimilitariste, il n’était pas pour autant contre la violence. La violence, pour lui, pouvait être légitime. Il disait : « Quand il faut de la violence, il en faut ! ». Alors il a sorti son revolver, a tiré en l’air et on l’a laissé parler ! (il rit). Voilà, ça c’est une anecdote, mais ce que je raconte surtout, c’est Durruti en Amérique, en Espagne etc. Et Makhno et cette fameuse révolution en Ukraine. J’explique tous les dessous de cette révolution, qui est très peu connue et en même temps, comme c’est un échange entre plusieurs anarchistes, dans cette pièce, il y a différentes conceptions de l’anarchie qui s’expriment.
Corentin : Oui, cette BD est en deux parties. On est en train de travailler à la suite de l’album qui sort le 5 février. Et je travaille aussi avec un autre dessinateur, Eric Descombes c’est vraiment tout nouveau. Ça se situe dans le Japon médiéval. C‘est l’histoire d’un Ronin mais je ne vais pas en dire beaucoup parce que c’est un projet qu’on est en train d’essayer de faire aboutir.

Pour finir, si vous aviez le pouvoir cosmique de pénétrer l’âme d’un artiste ou d’une personnalité, mort ou vivant, pour en comprendre le génie, l’inspiration, qui choisiriez-vous et pourquoi ?
Bruno : Attends, là, tu me poses une question mais tu as déjà la réponse ! Parce qu’après avoir fait Guernica, j’aimerais être au fond de l’âme de Picasso, pour savoir exactement ce qu’il pensait. Voilà, tu as parlé d’artiste… Mais sinon, par rapport aux anarchistes, j’aimerais bien aussi être dans la tête de Durruti et celle de Makhno, pour mieux comprendre et aussi mieux, peut-être pouvoir traduire, en BD, leur âme, finalement…
Corentin : Là, tu me poses une colle ! Tout de suite, ça ne me vient pas…
Bruno Loth : Rica Zaraï ? (rires)
Corentin : (rires) Non ! Ecoute, finalement, je suis bien dans ma tête et ça me suffit déjà !
Bruno : Et moi, je veux bien rentrer dans des têtes mais surtout pouvoir en ressortir !

Merci beaucoup Messieurs !