L'histoire :
Paris, mercredi 11 mai 1960. A la station de métro de la Porte de Saint-Cloud, un jeune homme apostrophe une jeune fille. Il se prénomme Serge, lui demande si elle est anglaise. Il se trouve qu'elle est allemande. Alors il lui demande si elle est étudiante, parce que lui est en train de finir Sciences Po. Elle est fille au pair, s'appelle Beate et accepte de lui laisser son numéro de téléphone. A l'autre bout du monde, à Buenos Aires, Adolf Eichmann, ancien nazi responsable de la logistique de la « solution finale », est enlevé par des agents israéliens... Jeudi 7 novembre 1968. Beate et Serge se sont depuis mariés. Elle se trouve à Berlin et arrive à s'infiltrer, grâce à un ami journaliste, au congrès annuel de la CDU. Son objectif est clair, cela fait même deux ans qu'elle se l'est fixé, depuis que Kurt Georg Kiesinger a été nommé Chancelier : lui donner une leçon et prouver au monde entier que les allemands ont honte de n'avoir pas traduit en Justice une grande majorité de hauts responsables du Troisième Reich. Elle s'approche de la tribune et parvient à y accéder. Une fois à hauteur du Chancelier, elle lui assène une gifle magistrale et crie : « Nazi ! Nazi ! ». Les photographes du monde entier sont témoins de la scène, dont un qui l'immortalise en la photographiant...
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Beate et Serge Klarsfeld ont été un couple symbolique. Le premier fut un enfant juif que son père sauva en se sacrifiant. La seconde était issue d'une famille allemande qui n'était pas nazie, mais qui, comme tant d'autres millions, vota pour Hitler sans avoir la lucidité de comprendre l'ignominie de son programme. Un couple franco allemand d'après guerre, qui consacra sa vie entière à réparer cette injustice : tant de hauts dignitaires nazis jugés par contumace en France mais qui bénéficière de l'absence de demande d'extradition, pour couler une vie paisible. Les époux Klarsfeld ne renoncèrent jamais à obtenir que Justice soit faite et que les responsables de dizaines de milliers de morts, quand ils avaient signé des ordres de déportation, finissent par répondre de leurs actes. Si Willy Brant a supplanté Kiesienger, après deux échecs, c'est que la gifle que lui a donnée Beate en hurlant « Nazi ! », devant des dizaines de photographes, en plein congrès annuel de son parti majoritaire, a eu pour effet de mobiliser des milliers de jeunes allemands, qui votèrent massivement contre son opposant. Si Klaus Barbie a été jugé, c'est parce que les Klarsfeld ont réussi, en utilisant la presse pour faire pression sur les autorités péruviennes, à ce qu'il soit extradé vers la France, alors même qu'il était protégé depuis des lustres par la CIA, plus que méfiante avec notre pays soupçonné par les américains de pouvoir céder au communisme. En un mot comme en cent, si l'Histoire est ce qu'elle, Beate et Serge Klarsfeld en ont été des acteurs, d'importance. C'est exactement ce que ce livre met remarquablement en lumière. Au point où il a été créé avec le soutien de la Fondation pour la Mémoire de la Shoa. Pascal Bresson retrace ainsi leur vie et leur pugnacité extraordinaires, quand Sylvain Dorange met son talent pour illustrer avec sobriété ce récit à la fois précis et haletant. Une fois de plus La Boîte à Bulles propose une œuvre forte, de celles qui forcent l'admiration pour les personnes qu'elle consacre... et les artistes qui le permettent. A destin exceptionnel, ouvrage exceptionnel !