L'histoire :
Après un réveil difficile et de grandes difficultés à retrouver les traits de son visage dans le miroir de la salle de bains, Jérôme Moucherot prend une grande décision. Il va se livrer à une quête intérieure, partir à la découverte de lui-même. Mais idéalement, il faudrait que cette quête intérieur se déroule en extérieur pour ne pas salir la maison. Sa femme encourage évidemment son tigre du Bengale. Et le voici dans son costume léopard sur le pont de liane qui part de la fenêtre de l'appartement. Très vite, il se rend compte que ses propres pensées s'acharnent contre lui, et que ce qu'il craint sur le moment se matérialise devant lui. Des crocodiles qui sortent d'un étang à un groupe de secrétaires de direction en furie, il réussit tant bien que mal à s'en sortir, mais va avoir besoin d'aide pour poursuivre son périple. Les rencontres se multiplient, du dragon qu'il dérange en train de faire ses besoins, à la femme de ménage qui tente de faire du propre dans l'intérieur de lui-même qui s'est accumulé. Heureusement, quelques brefs retour dans la cuisine familiale lui permettent de reprendre son souffle et le préparent à la confrontation avec une reconstruction totale.
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
En replongeant dans les aventures de Jérôme Moucherot, François Boucq se livre à un exercice de style narratif et graphique, une plongée dans les concepts, et une suite de défis pour savoir comment les représenter. On sait qu'il est un des tout grands dessinateurs franco-belges, armé d'une technique et d'une aisance aussi époustouflantes que les plus grands noms comme Giraud ou Hermann, par exemple. La chute dans la trame qui se reforme, aux pages 116 et suivantes, est absolument folle, le dessinateur réalisant à la main ce que probablement plus personne aujourd'hui ne chercherait à faire. Son style est cependant plus libre qu'à l'habitude, plus rapide, sans perdre un instant de sa virtuosité. Les changements de trames, l'alternance du noir et blanc et de la couleur, se font sans contrainte de pagination. Boucq dispose de tout l'espace dont il a besoin pour son voyage délirant. L'aventure intérieure de l'expert-comptable en tenue léopard est par ailleurs pleine de jeux de mots et de non-sens sensés. L'auteur ne se pose visiblement pas la question du côté presque désuet de cette approche. Il pousse l'exigence jusqu'à en faire des pirouettes visuelles, et on abandonne très vite l'idée de logique, ravis d'être emportés dans un tourbillon complètement fou, plein de second degré. On se demande à chaque page jusqu'où il va aller, se faisant visiblement plaisir dans un genre qu'il n'avait pas retrouvé depuis quelques années. En fin d'album, les détournements de tableaux célèbres sont très drôles, et devraient faire accourir les riches collectionneurs vers les galeries spécialisées, à qui le talent de Boucq n'a pas échappé.