L'histoire :
Un conférencier en tenue coloniale avance vers le lecteur à travers un décor immaculé, tenant une bicyclette à la main. Sur un ton dissert, il annonce qu'il va nous servir de guide, à la découverte d'un « grand fauve » dans son milieu naturel. L'homme tire de toutes ses forces un morceau de racine qui dépasse du sol et extrait de la planche un immense décor de jungle luxuriante, dans lequel il s'enfonce, jusqu'à débusque son sujet du jour. Ce sujet si palpitant n'est autre que Jérôme Moucherot, alias « le tigre du Bengale », l'empereur des agents d'assurance, qui rentre du boulot. Tenue léopard, démarche fringante, regard perçant des grands fauves, stylo plume en travers des narines, Moucherot impose le respect à son écosystème. Aujourd'hui encore, il a bouffé le monde. Il fait donc une halte pour se désaltérer, au bar du coin, d'un petit guignolet. Noyé dans une faune interlope, il retrouve quelques collègues et côtoie bien d'autres prédateurs... Toutefois, aidé par sa prestance naturelle, Moucherot ne craint personne : il est un mâle dominant. A ce titre, il n'a eu aucun mal, jadis, à conquérir sa femelle, à l'aide d'une parade nuptiale d'une belle maîtrise. Depuis, ce félin monogame lui a donné une petite famille et résiste sans ciller à toutes les tentations...
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Après 13 ans de silence, Jérôme Moucherot revient enfin, chez un nouvel éditeur (le Lombard) qui en profite pour rééditer l'ensemble de ses exploits. Les composantes épiques en couverture de ce tome 5 feront sans doute illusion auprès des lecteurs qui ne connaissent pas le personnage et le registre de ses « aventures ». Car une fois de plus, ne cherchez pas d'intrigue au sens propre : durant 86 planches, François Boucq nous donne à suivre une conférence en milieu naturel, proférée par un guide en tenue coloniale, en moult séquences distinctes et compilées. Le monde urbain moderne est souvent assimilé à une jungle ; avec son sens de l'absurde et son penchant pour le surréalisme, Boucq prend en effet cet idiome au pied de la lettre. Son récit n'a rien à envier aux Monty Python, on dirait même parfois qu'il s'en inspire. L'objectif est de percer la nature profonde et féline du héros, présenté comme un mâle dominant : un agent d'assurance au sommet de sa chaîne alimentaire. Comment a t-il acquis sa prestance, conquis sa femelle ? Comment se comporte t-il face aux autres prédateurs ? Quelle place tient-il dans son immeuble de bureaux ? Evidemment, il s'agit tout à la fois de tourner en dérision les inventions les plus kafkaïennes de notre belle civilisation humaine, et de singer les comportements idiots de cet animal pensant – parfois mal – qu'est l'homme. Le résultat est plus malin et philosophique, voire débile aussi, que franchement désopilant. Les amateurs des Monty Python ou de Raymond Calbuth devraient apprécier ; ceux qui préfèrent les scénarios de genre, plus « construits », se consoleront en profitant du trait virtuose d'un dessinateur hors pair (prix d'Angoulême en 1998).