L'histoire :
Josef est un jeune homme sensible, quand bien même il est sous-marinier à bord d’un U-boot de la Kriegsmarine, engagé – de force – en 1945. Entre deux torpillages atroces, contre des bâtiments ennemis, des gymkhanas entre les mines, à grandes profondeurs, dans une angoisse extrême, et de longues journées lénifiantes où il ne se passe rien, il se souvient avec nostalgie de sa vie d’« avant ». A sa naissance, au moment de Noël, dans une modeste maison de la rue des Chiens Marins au bord de la Baltique, le docteur avait cassé un personnage de la crèche, le Joseph – d’où son prénom. Son enfance avait alors été ponctuée de tendres bêtises, en compagnie de ses deux frères, dont un qui a avait une malformation à un pied (mais il était interdit de se moquer !). Tous trois étaient plus ou moins amoureux d’Emma, la plus belle file de la rue, qui jouait pourtant du violon comme un pied. Aujourd’hui, le voilà en train de repêcher (et de remettre immédiatement à l’eau) le cadavre d’une jeune femme, coupée en deux au niveau de la taille. L’abomination de cette guerre a de quoi rendre fou. D’ailleurs, ses camarades s’inquiètent : Josef passe de plus en plus de temps à soliloquer face à un phoque gris imaginaire…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Pour la première fois seul pilote aux commandes d’une BD (exception faite de son épouse Béa, toujours aux couleurs), Michel Constant propose dans la collection de prestige Signé du Lombard, un one-shot au ton et au propos atypiques. Si elle n’éclate pas au prime abord, la thématique centrale est celle de « l’enfant soldat », abordée à travers un traitement narratif original. En effet, en contrepied aux lois du genre qui tableraient plutôt sur un angle d’attaque grave ou tragique, Constant anime un récit plutôt joyeux, presque absurde. Le héros, Josef, est pourtant engagé au service d’une des pires armées de notre civilisation, sur l’un des fronts les plus insalubres et mortels qui furent (la guerre de l’Atlantique menée par l’amiral Dönitz coûta plus de 700 U-boots et 32 000 morts aux puissances de l’axe ; 3000 bâtiments et 40 000 morts aux alliés). Mais distinctement, Josef est resté un enfant ingénu et innocent ; et d’ailleurs, il n’a que 16 ans ! Piégé dans ce conflit meurtrier qui n’est pas de son monde, toute son âme aspire à redevenir le gamin amoureux d’Emma et il en perd son équilibre psychique. Ces petits délires intimes se matérialisent par des discussions solitaires avec un sympathique phoque gris (jusque sous les tropiques) et s’accompagnent donc d’une sacrée dose de loufoquerie (puisque dans loufoque, il y a phoque…). Le ton est léger, humoristique, le trait toujours agréablement caricatural (dans la veine du Centre du nowhere). Dans ce décorum bon enfant, Constant instigue tout de même l’horreur de la guerre, l’angoisse sous-jacente, alternées avec des séquences de souvenirs oniriques, emprunts d’une nostalgie à fendre le cœur. La méthode en déstabilisera plus d’un. On a tendance à traverser l’album sans trop savoir où Michel Constant veut en venir… et néanmoins, une fois l’album refermé, un puissant et aigre sentiment rend le propos éclatant.