L'histoire :
En 1923, en Guyane, Eugène Dieudonné parvient à s'échapper du bagne. Des hommes le pourchassent mais perdent vite sa trace au milieu de la forêt vierge. Le pire reste pourtant à venir pour Eugène. La forêt est un véritable enfer : les serpents peuvent tomber des arbres, les fourmis dévorer un bœuf et les mouches qui piquent jusqu'au sang. Il retrouve Bel Œil et La Guigne. Le Nègre les attend sur la rive. Le marché est simple : contre de l'argent, ce dernier leur a préparé une embarcation pour s'enfuir de l'île. Le radeau semble précaire et ne tiendra pas face au courant. Pendant qu'ils cherchent les rames, le nègre s'enfuit. Les prisonniers n'ont pas le choix : ils doivent se jeter à l'eau car leurs poursuivants se rapprochent. Le voyage est difficile, tous trois s'inquiètent de l'endroit où ils vont aller. Sans papiers, ils prennent de gros risques. Pour Eugène, il n'y a qu'une solution : passer par le Venezuela. Soudain, un nuage de moustiques fait irruption et fond sur les fuyards. Le lendemain, ils sont rongés par les piqûres de moustiques. Ils voient au loin un paquebot français. Il s'agit de celui du journaliste Albert Londres. Il vient pour faire un reportage sur les conditions de détention au bagne de Cayenne. Sans se douter que, non loin de là, trois prisonniers tentent de s'évader...
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Il est des œuvres marquantes, qui bouleversent tout. Forçats fait partie de ces coups de poing qu’il faut encaisser. Les Arènes BD ont la bonne idée de rééditer ce diptyque dans une intégrale (pour Noël ?). Le duo Fabien Bedouel et Pat Perna s’intéresse à nouveau à un autre duo historique (après Kersten et Himmler) : Eugène Dieudonné et Albert Londres. L’un est enfermé, l’autre est un journaliste qui va tout faire pour libérer le premier. Le sujet est on ne peut plus porteur, puisqu’il s’intéresse à une des hontes de notre système carcéral français : le bagne en Guyane. Perna déploie une vaste intrigue, distillant petit à petit ses effets : de la rencontre entre Londres et Dieudonné à la bande à Bonnot, de la tentative d’évasion de Dieudonné au combat journalistique de Londres, de l’enfer de l’emprisonnement au bonheur de la liberté. Le récit joue habilement sur les retours en arrière et parvient à maintenir un rythme passionnant malgré le propos historique et quasi documentaire. Sans jamais alourdir l’histoire d’anecdotes trop érudites, le scénariste parvient même à dépeindre en toile de fond les terribles conditions du bagne. A travers quelques détails atroces (et authentiques), l’horreur de Cayenne est suggérée plutôt que décrite ostensiblement. Parfois, on se trouve même au cœur d’un polar où le suspense et l’action sont intenses. Il faut dire que Bedouel a marqué les esprits en proposant un encrage sombre et puissant. Comme si le dessin voulait mettre en lumière la noirceur de l’homme, les grands aplats noirs sont de toute beauté et particulièrement efficaces. La seule lumière provient des yeux flamboyants des personnages qui vont épuiser leurs forces pour se sortir du piège judiciaire. Malgré le sujet lourd, Perna transforme la grande histoire en grande aventure humaine.Comment oublier ces deux personnages fascinants et à la destinée totalement hors norme? Dieudonné est un innocent qui passera sa vie à combattre sa condition inhumaine et Londres est un journaliste au grand cœur. La rudesse de Dieudonné tranche avec l’intelligence de Londres, mais tous deux sont des héros courageux qui vont devoir lutter contre le système juridique français. Là encore, le propos est subtil et peu manichéen : Londres, tout fascinant qu’il est, a aussi une part d’ombres, et l’innocence de Dieudonné n’est pas un fait acquis. Le trait de Bedouel les magnifie en montrant leur grandeur d’âme. Le dessinateur en fait des personnages éternels et ultra charismatiques. Tout est donc réuni pour un must : narration limpide, sujet fort et intelligent, personnages de haut vol, dessin puissant… à tel point qu’on pense à la grande saga de Il était une fois en France. Une de ces œuvres en forme de devoir de Mémoire, qui vous transporte vers... la liberté !