L'histoire :
En 1923, le bagnard Eugène Dieudonné vient tout juste de s’évader du bagne de Cayenne. De nuit, il est poursuivi à travers la jungle par deux chasseurs de prime teigneux. Il leur échappe en se cachant sous la surface d’un marécage, puis il rejoint deux autres détenus évadés. Ils ont rendez-vous sur la rive du fleuve Maroni avec un nègre qu’ils ont soudoyé pour qu’il leur confectionne un radeau. 500 francs chacun, soit une forte somme, qui représente des années de privation d’une partie de leurs rations quotidiennes revendues. Ils s’élancent ensuite à la dérive vers l’estuaire du Maroni, sans rame. Ils sont alors attaqués et défigurés par des nuées de moustiques… avant d’être repris quelques jours plus tard par les autorités, à moitié mort de soif et de faim. Dieudonné écope d’une peine supplémentaire de 2 ans de cachot. C’est dans cet endroit qu’il reçoit la visite du reporter français Albert Londres, venu ici pour témoigner au plus juste des terribles conditions d’internement. Tout en n’ayant de cesse de clamer son innocence, Dieudonné a forgé sa réputation de non violent. Le directeur du bagne autorise donc le journaliste à l’interroger dans sa cellule. Les deux hommes entament dès lors une forte amitié…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Durant près d’un siècle, entre 1846 et 1936, le bagne de Cayenne a été, selon les observateurs, la plus proche invention de l’enfer sur Terre. Pour accompagner les pires délinquants récidivistes envoyés là-bas : châtiments, conditions sanitaires déplorables, climat étouffant, malaria, dépravations… Tenter de s’en évader était cependant peu conseillé, étant donné l’environnement extérieur encore pire (jungle marécageuse, serpents et insectes venimeux…). Une statistique est éloquente : dans les premières années de son existence, sur les 17 000 prisonniers internés, seuls 7 000 survécurent ! Le journaliste globe-trotter français Albert Londres s’est fortement engagé pour dénoncer cela (en 1923), en portant « la plume dans la plaie ». C’est sur cette période que focalise le scénariste Pat Perna dans ce diptyque en devenir. Albert Londres n’est pourtant pas le seul protagoniste principal. Le bagnard Eugène Dieudonné, qui a écopé d’une perpet’ pour anarchisme au sein de la bande à Bonnot, mène les débats, avec une volonté farouche d’évasion – évasion qu’il réussira authentiquement en 1926, après plusieurs tentatives. La part romancée du récit tient dans son amitié avec Londres et le rôle (involontaire) du journaliste dans son succès. La découverte sur la longueur du cadre bucolique et la volonté farouche de s’en extraire sont deux arguments de poids dans l’intérêt que l’on porte au récit. Le dernier atout vient du dessin de Fabien Bedouel, avec lequel Perna a déjà réalisé le diptyque consacré à Kersten, le Médecin d’Himmler. Bedouel inscrit une nouvelle fois son travail dans une veine noir et blanc très frankmillerienne. Ses ombrages appuyés se déclinent en masses anguleuses de noir pur, juste rehaussées de quelques dominantes colorées éteintes en aplats. Ce parti-pris graphique est en tout cas parfaitement assorti à cette aventure historique, finalement assez proche de la BD-reportage.