L'histoire :
Au début 1958, André Malraux rend visite au général de Gaulle, chez lui, à Colombey-les-Deux-Eglises. Il insiste sur la déliquescence politique que connaît alors la IV République, ébranlée par les « évènements » d'Algérie. En somme, il lui demande quand il compte revenir au pouvoir. De Gaulle fait confiance aux circonstances pour que son retour sonne comme une évidence. Après quelques bouffées tirées sur la pipe d'opium qu'ils se partagent, de Gaulle est définitivement exalté par l'idée. En effet, l'année 1958 est très compliquée pour le président René Coty et son premier ministre Pierre Pfimlin. Notamment, les positions se cristallisent en Algérie, entre les partisans de l'indépendance et ceux de l'Algérie française. Dans la nuit du 13 au 14 mai, le général Massu crée un comité de salut public et en appelle à « l'homme du 18 juin 40 » pour restaurer l'autorité de l'Etat. Le 19 mai, lors d'une célèbre élocution télévisée et radio, de Gaulle propose ses services et garantit qu'il respectera les libertés fondamentales (« Pourquoi voulez-vous qu'à 67 ans, je commence une carrière de dictateur ? »). Pressé de toutes parts, Coty offrira le pouvoir au général le 29 mai, dans le but d'éviter une guerre civile et de restaurer un fonctionnement efficace des institutions. L'Assemblée Nationale accordera à de Gaulle les pleins pouvoirs en tant que Président du Conseil le 2 juin, à 351 voix pour (161 contre), pour 6 mois. Le général profitera de cette période pour faire rédiger par Michel Debré une Vème Constitution sur mesure...
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Thomas Legrand, l'éditorialiste politique le plus écouté de France prouve chaque matin sur France Inter (vers 7h40) une capacité d'analyse et une prise de hauteur admirables sur la politique française. Il est assurément l'un des plus compétents pour relater et vulgariser une Histoire de la Vème République en bande dessinée, à destination d'un large public. Au fil de ce petit recueil souple découpé en chapitres à la fois chronologiques et thématiques, il se livre à cet exercice de synthèse pas si facile pour le dessinateur François Warzala. Sur le plan graphique, il s'agit en effet de caricaturer au plus juste les « gueules » célèbres des acteurs politiques depuis 70 ans, mais sans aspect humoristique, afin de préserver la dimension didactique. Il s'agit aussi de mettre en scène une somme de palabres et discours, sans grande marge de créativité pour l'action. Exercice graphique admirablement réussi, quoique forcément peu spectaculaire, la plupart du temps en bichromie. Pour bien comprendre les rouages particuliers de notre Vème République – qui met un exécutif fort face à un peuple éruptif – il est nécessaire de revenir aux origines de la constitution qui la fonde. Thomas Legrand commence donc par resituer le contexte délicat par lequel le général de Gaulle a été appelé au pouvoir en 1958 (les « évènements » d'Algérie), et qui l'a amené à solliciter Michel Debré pour la rédaction d'une nouvelle constitution. La période de l'Algérie (le putsch des généraux, les accords d'Évian), la création de la Constitution (rédigée par Debré qui démissionne dans la foulée) et les premiers mois de de Gaulle Président (le « style » de Gaulle, l'attentat du petit Clamart, mai 68, sa démission) représentent environ la moitié de l'album. L'autre moitié fait un catalogue chronologique des présidents qui se sont succédé sans se ressembler (les scrutins, les portraits), des caractéristiques inédites en Europe de ce monarque républicain, de sa relation souvent ambiguë avec son premier ministre, des parts d'ombre de la République et des vies privées parfois folklo des Présidents. Un tourist-tour exhaustif et passionnant, en somme complet et très utile... quand bien même il se réserve à un lectorat déjà conquis un minimum par la chose politique.
