L'histoire :
Un vieil architecte vit de son talent artistique : il aime tagger les murs, élaborer des projets ou des affiches. Accompagné de sa fille, il vit de petits travaux ou de commandes. Pourtant, un jour, le maire de New York lui propose de bâtir un projet totalement fou. Complètement mégalomane, il veut construire une immense tour au cœur de Brooklyn… une tour qui surpasserait en gigantisme la fameuse Babylone ! Le vieillard devra apporter la touche finale de ce projet démesuré : il devra créer le sommet de la Tour en y incorporant un carrousel géant entouré de chevaux et de créatures puissantes et majestueuses. Les travaux de construction commencent, l’architecte s’attelle à cette tâche colossale…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Chaque album de Danijel Zezelj est une aventure en soi. Aventure narrative tout d’abord, puisque depuis Industriel, le dessinateur croate raconte ses histoires sans aucun texte, encadré narratif, onomatopée ou bulle ! L’aventure devient alors purement graphique et par la simple puissance du trait, Zezelj déploie une histoire aussi intelligible qu’intelligente. Par un art du découpage et du cadrage impressionnant, l’auteur enchaîne parfaitement les scènes muettes, diablement expressives. Le trait simplement encré de Zezelj suffit à exprimer bien plus de choses qu’un texte fourni. La puissance de sa peinture et de ses aplats noirs est proprement prodigieuse et l’artiste ne cesse d’évoluer et de gagner à la fois en sobriété et en profondeur. Beaucoup de cases sont de véritables tableaux de maîtres. L’œil du lecteur est totalement bouleversé par la perspective, le trait anguleux et la lumière qui perce ses zones obscures. A ce titre, Babylone est une nouvelle performance graphique d’un virtuose unique en son genre. A la profondeur du style répond la profondeur d’un monde. Comme des cauchemars récurrents, le lecteur retrouve sans cesse les mêmes thématiques dans les œuvres de Zezelj : régime totalitaire, ville tentaculaire, inégalité sociale… Babylone est une putain moderne, l’archétype de l’inégalité sociale, du triomphe narcissique des puissants sur les pauvres et défavorisés. Le maire est un despote égoïste et cynique, qui veut écraser de sa puissance et de son autorité toute la population new yorkaise. Dans ce piège étouffant et cette architecture acérée et cauchemardesque, Zezelj propose souvent la même parade. Profonde, subtile et pleine d’espoir : l’art ! Le vieillard (qui ressemble beaucoup au personnage du père dans King of Nekropolis) est un artiste au talent immense, qui donne vie à l’inanimé. Par l’or de ses mains ridées, il va changer la face du monde, à coups de crayons et de burins. Son art casse la tristesse et la solitude de l’urbanisme et les animaux qu’il sculpte sont autant d’appels à la nature et à la force sauvage contre le mal moderne ; un appel si fort qu’il soulève les peuples et fait tomber les murs. L’art incarne à lui seul la liberté, la seule lutte possible et efficace contre les inégalités d’aujourd’hui. Cette incroyable mise en abyme est d’autant plus fascinante que Zezelj sabote lui-même le noir de la vie en apportant de la lumière à tout ce qui l’entoure. Par son talent inouï, il illumine le monde de la bande dessinée et de l’art en général.