L'histoire :
Paris, 1847. La capitale française étouffe encore dans un bâti dense d’immeubles et ruelles enchevêtrées, hérité de l’Ancien Régime. Le Second Empire et les travaux du célèbre baron Haussmann sont encore à venir. Rumeurs, odeurs et vagues à l’âme courent les rues inspirant un profond spleen aux rêveurs. Ecrire encore et toujours sous l’emprise de la fée verte, telle est la condition de l’artiste. Assis dans un troquet, Charles Baudelaire est comme d’accoutumée plongé dans ses pensées. Lorsque survient promptement un garçon qui lui remet un pli semble-t-il urgent : son ami et éditeur Poulet-Malassis l’enjoint de le retrouver le soir même pour une affaire éminente, « pour l’amour des mots et de l’art »… Une missive pour le moins énigmatique. Et intrigante. La nuit tombée, le poète obéissant se rend donc à la taverne de Germain le Nantais. Attablé, son ami l’y attend en effet l’air grave et préoccupé. Il confie à Baudelaire une mission : partir pour Londres et y réceptionner un manuscrit, en toute discrétion. Un simple voyage d’agrément en somme, l’occasion de changer d’air et de renouveler une inspiration incertaine. Néanmoins Baudelaire hésite : l’idée de quitter Paris ne l’enchante guère, le saut vers l’inconnu l’inquiète. Surtout, il est persuadé que son ami lui cache des choses. Une intuition confirmée par la présence à son domicile de trois agents policiers venus l’admonester…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Second album signé du duo Tarek et Morinière en cette rentrée automnale, Baudelaire ou le roman rêvé d’E.A. Poe débute par une entrée en matière caractéristique, un plan du cœur de Paris centré sur l’île de la cité, encrant solidement le récit dans l’Histoire de France (à l’instar des actualités cinématographiques ouvrant Sir Arthur Benton). Néanmoins rapidement, on pressent à la lecture que la majeure partie du récit échappera à toute tentative d’appréhension rationnelle. En effet, s’il ne faut point s’attendre à une biographie romancée du poète du Spleen, le seul nom du célèbre Américain annonce la couleur : fantastique. Entendons-nous, point un fantastique horrifique ou extra-terrestre mais plus simplement, originellement, « essentiellement » surnaturel, c'est-à-dire progressivement suggéré, fait d’équivoques et de faux et/ou vrais semblants. En clair, l’intrigue installe au fil des pages une atmosphère envoûtante bâtie sur un jeu d’ombres et de lumières. A cet égard, le trait choisi réussit un rendu plein et convaincant, parfaitement en phase avec une narration alternant « off » et dialogues (pour qui a vu l’artiste en dédicace, il sait combien son dessin est précis et appliqué, juste). A la veille des révolutions européennes du printemps des peuples, Baudelaire (qui fut le traducteur du maître) poursuit un fantôme qui chaque fois se dérobe, disparaît au détour d’une rue embrumée de la cité anglaise. Au terme de son impalpable enquête, réussira-t-il son parcours initiatique ? Un fantôme est insaisissable en sustance. De ce conte ou nouvelle inspirée (dans la veine) du XIXe, il demeure un voyage fantasmé entre noirs, blancs et gris…
