L'histoire :
Un verre d’eau tirée à la grosse bonbonne en guise de cadeau, le gamin avance dans la grande salle impersonnelle de la prison, pour s’attabler et attendre. Un grand bonhomme barbu et tout habillé d’orange arrive pour s’assoir avec lui. Le gosse l’appelle Papa. Lui ne répond rien : pas évident de répondre à son enfant, car même dans ce moment intime, on est surveillé et écouté. Il n’y a pas si longtemps, c’était tout aussi silencieux mais nettement plus froid… Il pleut par trombes sur la route et le gamin assis à coté de son père, dans la grosse voiture, refuse de boire son soda à l’orange : un vieux conseil de sa maman qui désapprouvait la consommation de sucre avant de se coucher. Ça ne fait pas trop rigoler le conducteur. Alors pour tenter de détendre l’atmosphère, il accepte de couper les essuie-glaces. Ça donne à son fils l’impression d’être derrière une grosse chute d’eau : un autre vieux souvenir de sa maman. Plus tard, le four du soleil reprend ses droits dans un long ruban routier texan poussiéreux. Pour autant, l’ambiance entre les deux voyageurs est toujours aussi glaciale. Et ce n’est pas un contrôle policier – et la complicité du fils avec le shérif – qui risque d’arranger les choses...
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Pour ouverture et terminus du récit : une prison, un parloir, une table, un verre d’eau… Et puis au milieu, un long flashback pour une virée texane à bord d’un 4x4, chargée de mettre en place une relation père-fils toute neuve. Au bout du compte, une jolie claque qui, plus que de nous révéler les raisons qui nous font visiter une prison américaine, nous attache à une histoire d’amour puissante, taiseuse et toute en émotion… Un père mi-gentil couillon looser, mi-voyou. Un gamin de 10 ans récemment chahuté par la vie. Une rencontre forcée, sans plaisir immédiat. Obligés l’un et l’autre de partager le même chemin, en espérant que ça ne durera pas longtemps. Et puis le lien filial balaye leurs aprioris pour aller bien au-delà que le simple apprivoisement. Confiée à une construction brillante, l’histoire mise en place par Aurélien Ducoudray joue la simple et rigoureuse efficacité. Il voulait faire vibrer notre corde sensible, allumer ce petit feu d’amour et d’humanité qui fait du bien : c’est gagné ! Le tout distillé à juste mesure par petites touches mêlant savoureuses rencontres, souvenirs, actions et humour, au rythme d’un véritable petit road-movie happant. A nous de reconstruire, avec et en même temps qu’eux, leur histoire commune, en laissant les silences compter autant que les mots, pour une incroyable leçon d’amour. Simple et sans excès, le récit emporte littéralement, bouleverse sans chahuter au diapason d’un décorum américain poussiéreux et ciselé pour le cinéma. Enfin, il y a la force impressionniste du dessin de Bastien Quignon, chauffé par ses ocres et blancs lumineux, son épaisseur voulue qui, là aussi, emprisonne parfaitement la force émotionnelle du récit. De l’excellent boulot !