L'histoire :
Bordeaux, à l’aube des années 2000… Maya Lipman se rend comme chaque jour au boulot, rue Abbé de l’Epée. L’ecclésiastique en question, Maya pense lui devoir beaucoup : il s’est battu sa vie durant, au XVIIIéme siècle, pour faire reconnaitre les sourds comme des personnes à part entière. Rue Abbé de l’Epée à Bordeaux, siège la Préfecture de Police. Maya est flic… et Maya est sourde. Il n’y a d’ailleurs aucun problème à faire cohabiter ces deux identités. Maya est en effet devenue experte en lecture labiale et ses collègues ont peu à peu pris de bonnes habitudes pour bien communiquer… Ce matin, deux affaires mettent le groupe auquel elle appartient (5 inspecteurs et le commissaire) en émoi : une lettre anonyme prévoyant de faire son compte à un certain « Le Prince » si la Police ne fait pas son boulot ; une affaire de tapage nocturne avec délit de fuite. Maya hérite de la première enquête, avec Jimmy pour coéquipier, un flic lourdingue, macho, dont l’humour frôle trop souvent la vulgarité. Peu intéressée, par ailleurs, par le boulot de rat d’archives qu’il lui suggère, Maya retourne habilement la situation en lui confiant la tâche, pour préférer aller secouer ses indics…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
D’abord ficelée comme un bon polar, cette nouvelle série du scénariste multiforme Eric Corbeyran est aussi l’occasion de mettre en scène un flic atypique. Sourde, Maya nous renseigne sur sa différence, via des infos soupoudrées sur ce « monde » méconnu, tout en la faisant passer au second plan, au profit du fond d’intrigue essentiellement policier. Aidé par Bénédicte Gourdon (entre autres psychologue auprès de personnes sourdes), Corbeyran met ici en place un récit de veine plutôt classique dans le genre, mais particulièrement réussi. Il emprunte d’ailleurs assez habilement la trame habituelle des bons thrillers (romans), en posant délicatement et avec parcimonie ses banderilles, pour nous intéresser, nous surprendre ou nous interroger, de bout en bout. Trois enquêtes conjointes, de l’équipe de flics ordinaires (avec ses lourdingues, sa bleusaille, son chef patriarcal…) à laquelle appartient l’inspecteur Maya Lipman, servent alors le tempo : une lettre anonyme énigmatique mettant en garde contre un futur délit ; une plainte pour tapage nocturne et une plainte pour suspicion de trafic humain. Au bout de cette première partie, la surprise d’une probable jonction entre chaque élément. Mais rien n’est moins sûr pour autant et encore suffisamment serti par une petite brume pour donner très envie. En sus, à 3 reprises interviennent des salves d’une à quatre planches particulièrement énigmatiques et parfaitement anxiogènes (avec un jeu de contraste noir, blanc, rouge + une voix off tutoyant désespoir et folie) qui tisonnent un peu plus encore notre appétit. Au final, le récit fait le pari intelligent de mettre en avant l’élément psychologique et humain (particulièrement bien porté par le personnage central) plutôt que l’action pétaradante souvent insipide. Le dessin renforce d’ailleurs ce choix, en une partition sérieuse et efficace. Une bonne entame de série, en tous cas.