L'histoire :
Holland, Michigan, 10 octobre 1980 : aujourd'hui est un grand jour, car le supermarché Everything ouvre ses portes. Et cela est un évènement, lancé en grande pompes par la municipalité et l'équipe du magasin. Tout semble pour le mieux et pourtant, des clients subissent d'étranges réactions dans la journée. Certains saignent du nez, d'autres perçoivent des sons particuliers, un jeune garçon va ressentir le besoin de se suicider, un autre va s'auto enflammer... Shirley, belle trentenaire blonde, manager au magasin, semble être chargée d'une mission de médiation auprès des habitants, tandis que Lori, ambulancière, voit sa vie s'effondrer. Va t-elle comprendre ce qui lui arrive, grâce au gérant de la boutique de Hifi SoundsGoodStereo, lui aussi intrigué par des évènements sonores ? A moins que ce ne soit en se rendant au phare qui borde la mer, aux extrémités de la commune...
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Dès les premières pages, Everything intrigue et pose les bases d'un récit que l'on devine pétri de fantastique. L'ambiance convoque effectivement (c'est annoncé sur le bandeau ornant l'album) le Twin Peaks de David Lynch, mais l'aspect science-fictionnel qui y est révélé tendrait presque davantage vers les rivages de Stranger Things et les ambiances affectionnées par l'auteur Jeff Lemire. On est à l'aube des années 80 et il semble que le consumérisme aux Etats Unis, s'entremêle avec les faits divers de serial killer, les films d'horreur d'alors et bien sûr, des thématiques comme le sida et la dépression chronique. Le mal, tel dans le Black Hole de Charles Bruns, nous ronge de l’intérieur, mais peut se voir à l'extérieur. Christopher Cantwell, écrivain, réalisateur producteur, entre autres aussi connu pour la série TV Halt and Catch Fire (2017), en traitant les débuts de l’informatique personnel au début des années 80 et ses dérives potentielles, présente un récit tout en finesse, où les faux semblants et l'intuition prédominent. On est clairement ici dans ce que le roman graphique d'anticipation est capable de faire de mieux et si Philip K. Dick est cité dans la postface d'Aurélien Lemant, nous n'y trouverons rien à redire, tant la force d'évocation et le suspense sont maîtrisés. Tout comme la mise en page d'ailleurs, habilement travaillée par INJ Culbard, jouant par exemple sur de fausses publicités tramées qui évoquent un catalogue des produits d'Everything. Au delà de cet effet bienvenu, il faut à nouveau reconnaître le talent de ce dessinateur anglo-polonais, passionné de fantastique. Il a beaucoup adapté H.P. Lovecraft et Conan Doyle et même HG Wells (Wild's End chez Kinaye). On avait aussi déjà pu apprécier son trait et son encrages souples, assimilés à la ligne claire, avec le roman graphique de science-fiction Brink (Akiléos 2019). Ici, ses qualités graphiques sont en plus très agréablement rehaussées de couleurs chaudes, participant pleinement au ressenti du zen souhaité par le magasin, mais aussi à l'inquiétude ambiante. Everything enveloppe, étonne, dérange, et attrape. Déjà un classique.
