L'histoire :
10 mars 1937. Howard Philipps Lovecraft est admis de toute urgence à l’hôpital. Le docteur John Stanislaus Dziob fait le point sur son état de santé. Le 13 mars, ils ont fait une ponction stomacale et le verdict est implacable : c’est un cancer de l’intestin en phase terminale. L’infirmière ne sait pas trop si elle doit lui donner encore de la morphine : une dose trop massive pourrait le tuer. Mais le médecin lui fait comprendre que, de toute façon, ils ne pourront rien faire pour lui. Autant qu’il souffre le moins possible. Il préconise de faire appeler rapidement la famille qu’il possède. Selon l’infirmière, seule une vieille tante chez qui il logeait peut lui rendre visite. Lovecraft n’était qu’un obscur petit écrivain qui racontait des contes à deux sous dans des journaux amateurs. Pas de collègues, pas d’amis. Le pauvre bougre va mourir dans l’anonymat le plus complet. Pas tout à fait cependant car un visiteur tient à le voir absolument. Avant de quitter la chambre, le médecin regarde la valise du patient. Elle contient des revues ordurières de femmes guerrières aux seins nus. Il faudra incinérer toutes ces fadaises quand il sera mort. Le visiteur peut enfin rentrer dans la chambre. Il dit s’appeler Randolph Carter…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
On a vu beaucoup de livres et bandes dessinées sur le mythique Lovecraft mais un tel bouquin, jamais ! 404 Éditions frappe fort avec ce magnifique ouvrage, superbement broché à la couverture marquante. Il faut dire que le visuel de Jakub Rebelka est tout simplement sublime. Son trait anguleux, ses couleurs hallucinées et son univers ésotérique nous plongent dans une biographie vraiment pas comme les autres. D’abord parce qu’on s’intéresse aux derniers instants de l’écrivain mais aussi parce que le propos est quasi irréel. Lovecraft se mue en Dante Alieghieri et fait un voyage hors du temps et de l’espace, à ceci près qu’il est spectateur de sa propre mort et de son basculement progressif vers un autre monde. Une prise de risque remarquable car on sait que Lovecraft est devenu un auteur culte, adulé et copié régulièrement. Pourtant, malgré cette forme étrange et parfois hermétique, Romuald Giulivo glisse de nombreuses informations et références sur le « reclus de Providence ». C’est même une véritable bible sur la vie de Lovecraft : son amitié avec Houdini, ses croyances réactionnaires, ses nombreuses correspondances... On sait même qu’il se donnait lui même le surnom Grand pa ! L’histoire mêle anecdotes authentiques et détails inventés, à l’instar de cette superbe lettre où il écrit à son alter ego. De sorte qu’on ne sait jamais ce qui est vrai ou non et correspond bien à toute la légende et le flou qui règne autour de l’inventeur de Cthulhu. Son œuvre horrifique est bien connue mais qu’on ne s’attende pas pour autant à voir des monstres ou pire encore, des Grands Anciens. Ici, tout est fait en finesse et ce sont les décors qui se tordent sous le trait acéré de Rebelka, comme si tout l’imaginaire lovecraftien venait de Providence. Ou comme si la désolation du paysage symbolisait la sécheresse de l’âme de l’auteur. Car le propos est noir, implacable, désespérant mais fidèle à la pensée profonde de l’auteur. Pas d’esbroufe, pas de grandiloquence, pas de superstition : nous ne sommes qu’un accident et tout ce qui nous rend humain, y compris la mort, n’est finalement rien en comparaison avec le cosmos. C’est aussi une incroyable réflexion sur l’art et l’écriture puisqu’on y voit également de nombreuses rencontres avec de grands écrivains. Cette biographie osée et superbe plonge comme jamais dans l’âme tourmentée et fascinante de Lovecraft.
