L'histoire :
Central City, ville déchue, où la corruption et le crime règnent en maître... ou moins, « règneraient » en maître, si le Spirit ne veillait dans l’ombre, détruisant les arrivages de drogues qui enrichissent la Mafia locale dirigée par la Pieuvre. Les « familles » de Central City, fatiguées de perdre des millions dans les attaques de cet homme insaisissable, engagent en Europe un tueur à gages impitoyable : Angel Smerti... Le Spirit a appris la nouvelle par son réseau d’indicateurs et se tient sur ses gardes. Mais il ignore une chose essentielle : Angel Smerti n’est pas un homme mais une femme.
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Soyons clairs d’entrée : The Spirit n’est pas le ratage qu’on aurait pu craindre après la désastreuse reprise, dans la collection First Wave, de Doc Savage. Ce nouveau titre, dédié au héros de Will Eisner, sait poser une ambiance noire, limite glauque, qui retrouve les accents de la série originelle tout en lui offrant une narration contemporaine, imitant, sans trop s’en cacher, celle d’un Frank Miller sur la série Daredevil, qui elle-même s’inspirait du Spirit des années 40 (le serpent qui se mord la queue). On replonge donc dans les rues de Central City, cloaque que Dieu et la police semblent avoir abandonné aux mains des pires crapules existantes. On y retrouve le Spirit, alias Denny Colt, un ancien flic, décédé une première fois puis ressuscité, que la Mort semble ne plus capable de reprendre... Il profite de cet avantage certain pour opposer aux familles mafieuses, un dernier semblant de justice en s’appuyant sur les derniers gens honnêtes de Central City. Bref, un matériel idéal de série noire qui aurait pu permettre de réaliser de très bonnes histoires. Alors, pourquoi cette impression de trop peu, voire d’inconsistance, en sortant de cet album pourtant bien épais en terme de pagination ? Sans doute parce que le très maigre fil conducteur de la première histoire est dilué par Mark Schultz sur 3 chapitres de 24 pages alors que paradoxalement, on a le sentiment que le scénariste n’a pas eu le temps de développer la relation entre le Spirit et Angel Smerti, la tueuse à gage venue régler son sort. Pourtant, comprendre cette relation, qui bascule doucement (enfin, un peu trop vite à mon goût) vers quelque chose que personne n’attendait, est essentiel à la crédibilité de l’histoire et plus encore à sa résolution. Déception, donc. David Hine, auteur de la seconde histoire, fait un peu mieux, transformant même le personnage d’Ebony White (à l’origine un petit noir à la limite de la caricature du petit « nègre » tel que l’imaginaient les américains des années 40) en une jeune femme noire au caractère bien trempé, issue des rues misérables de Central City. Idée intéressante, d’où nait une relation surprenante entre le Spirit et ce personnage pour lequel il semble éprouver un amour quasi paternel. L’arc est électrisé par quelques belles idées, des personnages et un climax forts, mais là encore, on note un manque réel de densité et une résolution d’histoire un peu trop facile au regard de l’intelligence du reste. Il faut maintenant évoquer le gros point faible de cette série : le dessin de Moritat. Le Spirit d’Eisner est devenu une icône américaine. Son graphisme est presque aussi identifiable et célèbre que celui de Hergé sur Tintin, fait d’élégance, d’un jeu subtil des acteurs, d’un travail d’orfèvre sur l’ombre et la lumière et d’un talent pour les décors urbains qui fait de la ville un personnage presque aussi important que les êtres de chairs et de sang. Je ne parle même pas de la qualité époustouflante de la narration dont Eisner était un des maîtres (à tel point qu’il a écrit plusieurs livres sur le sujet). Malheureusement, le travail de Moritat (qui ne manque pourtant pas de qualités) est à des années-lumières de cette subtilité et de cette élégance : certes, il restitue une belle ambiance noire, mais les décors mal fagotés, les personnages trop esquissés, les pin-up sans charmes, l’encrage pâteux, la mise en scène un peu brouillonne ne font pas de lui le meilleur dessinateur pour cette reprise. Un sentiment que confirment les magnifiques couvertures réalisées par José Ladronn... qui nous rendent, elles, un Spirit élégant, entre série noire et comédie, très proche d’Eisner tout en s’en démarquant. Ce qu’on aurait aimé retrouvés dans ce fascicule.