L'histoire :
Juste après la mort de sa mère, Alan Moore découvre dans ses affaires une coiffe de naissance, fragment de la poche des eaux qui recouvre parfois la tête des nouveaux-nés, assimilée parfois à un porte-bonheur. Très vite, le scénariste la dote de vertus magiques et chamaniques pour en faire le vecteur du temps et des étapes de la vie. Alan Moore imagine alors son double fantomatique projeté à rebours dans sa propre vie : âge adulte, adolescence, enfance, naissance, toutes les étapes d'une vie narrées sous forme de chronologie inversée sont balayées par le regard affûté d'un homme qui découvre dans cette coiffe l'essence même des ressorts de l'histoire collective : l'identité, la mémoire, le langage, réminiscences liquides d'un état de grâce définitivement perdu. Une histoire de planisphère à recomposer, d'une "Atlantide personnelle et d'un temps du rêve" à retrouver...
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Pas vraiment une nouveauté outre-Manche, La coiffe de naissance signé du duo magique de From Hell, Alan Moore/Eddie Campbell, date en fait de 1999. Issue d'une pièce de théâtre multimédia jouée en 1995, la BD aborde les différentes étapes de l'existence de son auteur, son enfance, son adolescence, sans s'interdire des digressions critiques bien senties sur la société ou l'économie anglaise, pour dresser le tableau poétique d'une humanité en mal - ou en quête- de repères. Alan Moore construit ici un texte littéraire puissamment évocateur, dense et totalement libre, abordant successivement sa vie personnelle et familiale tout en universalisant le propos aux questions politiques et sociales. Soyons clairs, il faut s'accrocher à cette narration sans répit, lente, foisonnante et à l'ambition littéraire sans pareille dans le monde de la BD. Le marque-page est d'ailleurs là pour le rappeler : mieux vaut morceler, prendre son temps et s'y reprendre pour se laisser porter par la magie de la poésie musicale tissée par l'inégalable barbu. Tortueuses et complexes, baignant parfois dans un ésotérisme obscur, les longues phrases sont portées par l'imagination débridée d'Eddie Campbell. En noir et blanc, gras ou clair, multipliant les nuances sombres dans un style évocateur, brouillon ou réaliste, le langage visuel, inventif et d'une belle générosité, plonge dans les ténèbres, hume et exsude les recoins insondables de l'âme. Difficile d'accès par son ambition littéraire (le texte est à l'origine écrit pour être lu à voix haute lors d'une unique représentation, terrible gageure pour le traducteur à l'heure de l'adaptation BD), agréablement exigeant, souvent déroutant, La coiffe de naissance foisonne et détonne. Incontournable comme expérience de lecture singulière, le livre paraîtra logiquement hermétique à plus d'un lecteur. Ce serait fort dommage tant la qualité du bouquin est remarquable. Finalement, une BD à considérer pour ce qu'elle est, une belle œuvre littéraire. Sans oublier de toujours se raccrocher à la coiffe : « notre scaphandre pour ne pas nous noyer malgré la lumière tremblotante et l'attraction fatale du courant sous-marin »...
