L'histoire :
Le jeune Conrad découvre enfant l'image et la parabole du Bon Berger dans un livre, à l'occasion d'un cours de catéchisme à Belleville, mais ne la comprend pas. Un peu plus tard, alors en vacances d'été à la ferme de son grand-père au cap oriental, il assiste à l'égorgement d'une brebis. Au lycée, il découvre le châtiment et les disciples du Bon Berger, par le biais de son professeur d'instruction religieuse. Juste avant d'être étudiant, il écoute son frère appelé lui raconter ses missions de maintien de l’ordre dans les Townships, et, révolté, décide de ne pas réaliser son service. Étudiant en école d'art, il fait connaissance avec Joe Dog et découvre les maîtres tels Goya, qui le marqueront à vie. Il nous offre d'ailleurs une adaptation personnelle de son Saturne dévorant un de ses fils, lui apparaissant comme la meilleure définition du Bon Berger. ... David et Goliath, Le Pays de Judas, Dieu et rat, Caïn et Abel, L'échelle de Jacob, Les Exploits de Samson complètent le reste de album.
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Responsable en France de deux précédents albums : Rat et Chiens chez Cornélius (2009), La Bande à Foster (2011, L'Association) plus un recueil de dessins : L’Art érotique de CB et Anton Kennemeyer (la Cinquième couche 2021), Conrad Botes (Aka Konradski) est surtout connu pour ses récits subversifs dans la revue Bittercomix créée et publiée avec Joe Dog et Lorcan White en 1992, et dont seul un volume compilatoire a été édité en France en 2009 chez l’Association. C'est au sein de cette première revue underground comics d'Afrique du Sud qu'ont été dénoncés sans cesse les travers et violences des politiques Apartheid blanches, avec un ton provoquant et sans retenue, qui a fait son originalité et sa force artistique. Le fond cependant n'est pas seul responsable, et la forme est à son service, avec des auteurs maîtrisant leur art. Dans ce nouveau recueil, dont l'histoire homonyme au titre a été prépubliée en juin 2021 dans la revue Nicole #10 de l'éditeur, Conrad Botes nous raconte un peu de son enfance et de l'histoire de son pays, en se servant des paraboles de récits bibliques. Sans aucun doute profondément marqué par une éducation religieuse dans sa jeunesse, il en a gardé un fort ressentiment, qu'il exprime au moyen de scènes violentes mais baignées d'une poésie toute Villonesque (de François Villon), et ce n'est pas la fin du récit Le Pays de Judas qui nous contredira. Les symboles ou thématiques de la croix, de la sépulture, de l'expiation, de la souffrance, de la vengeance, de l'injustice, sont cela dit omniprésents, créant pour chaque chapitre des ambiances et des planches sombres fascinantes. Celles-ci sont en effet tellement magnifiquement dessinées, à l'aide de cases où l'encre circule en de longues volutes de hachures, horizontales ou verticales, pouvant évoquer les gravures de Frans Masereel, que l'on ne peut que se délecter, se réjouir et revenir sur elles sans cesse. Il y a de quoi se damner avec ce Pays de Judas engagé, et c'est bien l'ironie de toute l'histoire.
