L'histoire :
Dans ce début de XXe siècle issu de la victoire napoléonienne, jadis, sur les troupes britanniques, l'Angleterre s'apprête à recouvrer enfin son indépendance. Au terme d'une période d'insurrection et de violents attentats, un processus politique a été programmé, les français occupants organisent leur retraite relativement paisiblement. Dans ce contexte, l'inspecteur Stamford Hawksmoor fait un voyage en train depuis Londres, jusque dans un patelin rural du Suffolk. Depuis la gare, un loufia est venu le chercher en charrette pour le conduire au milieu d'un champ, précisément à l'endroit où vient de se suicider son grand frère Gérald. Ce dernier a soigné son départ : à un endroit isolé de toutes habitations, il a placé un gramophone sur un guéridon, a fait tourner la 7e symphonie de Beethoven, puis il a mis le canon d'un fusil dans la bouche et s'est fait sauter le caisson! Les policiers locaux déjà sur place confirment que la thèse du suicide ne fait aucun doute. Blanche, la veuve de Gérald, a reconnu le corps. Stamford n'est pas trop affligé : il n'était pas proche de son frère, de quelques années son aîné. Toutefois, il n'avait jamais imaginé que Gérald puisse en finir ainsi. Trop prétentieux pour ça. Alors, il aimerait tout de même comprendre les circonstances qui l'ont mené à un geste ultime d'une telle violence...
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Cet épais polar de 180 pages, signé de l'éminent auteur complet anglais Bryan Talbot, est un mélange habile et original des genres. Il est un spin-of de la série phare de Talbot, Grandville, dans laquelle le personnage de détective de Stanford Hawksmoor est évoqué, comme étant l'un des meilleurs limiers de Scotland Yard, alter ego de Sherlock Holmes. De fait, le contexte uchronique et zoomorphique est identique : ce début de XXe siècle est une divergence historique, après que Napoléon a vaincu les Anglais à Waterloo, deux siècles plus tôt. Ainsi, l'Angleterre sort d'une longue période de colonisation par l'Empire français, sur le point de se retirer. Le changement de tutelle est une manière pour Talbot de faire référence à la catastrophe du brexit. Le personnage principal est un aigle en haut-de-forme, qui mène des enquêtes parallèles dans un milieu riche et complexe, reliées entre elles dans un contexte socio-politique particulièrement abouti et retors. Ces investigations interconnectées et sordides, dans cet univers fourmillant et tendu, sont la grande plus-value de cet album... mais les nombreuses voix off et dialogues secondaires verbeux, peuvent aussi nous perdre ou nous lasser. L'ensemble est dessiné dans un style semi-réaliste cohérent, avec un souci des décors hyper soignés, rehaussé d'un lavis monochrome sépia. La grande classe !