L'histoire :
Bienvenu dans le Bad World. Sauf que vous y êtes déjà, mais ne voulez pas vraiment le savoir. Bref, on va vous mettre sous les yeux ce que les œillères que vous avez choisies vous-même vous interdisent de voir. Oui, le Bad World, c'est un peu l'envers du monde que nous connaissons. C'est le même monde que le nôtre, à ceci près qu'il est vu à travers les yeux des théoriciens du complot. Enfin... « théoriciens »... c'est souvent un bien grand mot. Tenez, ce type, Marshall Hall, est persuadé que la Terre est immobile. Et ouais, Copernic et sa clique doivent être des hérétiques, car la Bible et le Coran spécifient que la Terre est réellement immobile. Et le type a écrit des livres, si, si ! Malheureusement, le Bad World, c'est aussi la réalité de malades mentaux, ou de désespérés. C'est la réponse qu'ils ont du trouver pour se protéger d'une réalité qui les effraie. Et ce leurre est devenu leur réalité. Le Bad World, c'est aussi celui des pervers. Comme cet espagnol, Herminio Riveira Couceiro et son amour sans limite des poules. Confortablement adossé à un rocher pendant qu'il « câlinait » sa galinette préférée, le roc céda et on le retrouva mort, la poule au bout du pénis. Bad World !
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Si on devait trouver une seule et unique raison de s'intéresser de près aux publications de Komics Initiative, on vous parlerait de l'originalité des contenus. Et ce n'est pas parce que chaque fan de comics a lu Warren Ellis que vous pouvez vous attendre à du déjà-vu, même « chez lui » ! Cette fois, l'éditeur est allé piocher de façon intelligente dans le catalogue d'Avatar Press pour y dégoter deux perles ici réunies, pour la première fois, dans le même ouvrage. Bad World, tout d'abord. Une série d'anecdotes récoltées par l'éclectique sujet de Sa Majesté. Elles sont toutes illustrées par Jacen Burrows, dont la carrière internationale est relativement discrète, mais qui peut se targuer d'avoir bossé également avec Alan Moore et Garth Ennis. Ça donne une idée de son envergure... Donc ici, pas de planche au sens strict du terme, juste un texte souvent tranchant comme votre rasoir à 8 têtes pivotables et le noir et blanc grisé du graphiste. Les saloperies et/ou stupidités crasses s'enchaînent et on est tout de même tenté, tôt ou tard, de s'interroger sur le sens de la démarche de l'auteur. Après tout, reprendre le pire, devenu à portée d'un clic, quel intérêt ? Ellis camouflerait-il son côté voyeuriste en nous offrant une diatribe dont il a le secret ? Peut-être, mais l'hypothèse est un peu courte quand on sait (pourvu qu'on soit féru de ses œuvres) à quel point il est un artiste brillant. Car il faut lui reconnaître cela : Bad World date de 2001, une époque où l'on passait encore plus de temps au lit que devant un écran ! Une époque qui peut sembler lointaine, mais au regard de ces récits tordus, on en arrive à la conclusion que rien n'a changé depuis. Le pire reste intemporel, ce ne sont que les formes sociales qui changent. C'est peut-être bien la morale qu'Ellis ne dit pas... à moins qu'il tire une salve acide et camouflée à l'égard des journalistes qui répercutent à longueur de temps les faits divers scabreux. Il peut se le permettre : il a aussi travaillé comme journaliste... Quoi qu'il en soit, on se dit souvent que c'est bien d'être assis quand on le lit, car quelques anecdotes ont de quoi déséquilibrer le lecteur pris dans ce monde tourmenté. Le dernier quart de ce livre qui comporte 128 pages présente Do Anything, 26 chroniques hebdomadaires que Warren Ellis avait réalisées en 2009 pour le site bleedingcool.com. L'auteur britannique aborde sa passion pour l'art séquentiel sous la forme d'une interaction délirante avec une tête de robot gavée des créations de Jack Kirby ! C'est d'abord un pur régal pour qui aime l'histoire de ce média et c'est aussi l'occasion de constater, une nouvelle fois, que Warren Ellis est un virtuose de la prose, doublé d'un fin observateur de son monde et de l'histoire de son art. Voila, Bad World + Do Anything est un album absolument unique, à l'image de son scénariste !