L'histoire :
Un couple britannique, le major Gordon Gravett et sa femme Rosalind, font une lune de miel à Venise pendant le carnaval. Dans le train qui les emmène en Italie, ils croisent un jeune homme, Stefan Wasserman, aux lunettes noires et au comportement troublant et inquiétant. En effet, il joue les oiseaux de mauvais augure en parlant de la guerre et de la mort qui hante tous les hommes. Dans Venise, un autre couple s’amuse à des jeux dangereux : Charles Carlo et sa femme s’adonnent au plaisir et à faire souffrir les mendiants. En plein avènement de Mussolini, la police italienne est partout mais Stefan Wasserman garde un œil sur ce couple terrible. Le soir, la femme de Gordon refuse de se donner à son mari, hantée par les réflexions du jeune homme en blanc. Dans le même temps, Charles est terrorisé par le visage de Stefan. Ce dernier vient lui rendre visite et le nargue devant sa porte. Ils se promènent tous les deux et se remémorent la première guerre mondiale. Stefan rappelle à Charles sa lâcheté pendant la guerre et son incapacité à tuer l’autre. Dans un sombre flashback, Charles comprend que Stefan est une sorte de démon qui a pris possession du tout jeune soldat allemand qui regardait les morts de guerre, terrorisé. Pourquoi Stefan poursuit Charles Carlo ? Qui est-il véritablement ?
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Etrange bande dessinée que nous offre les éditions Mosquito. En effet, le lecteur plonge dans une sombre histoire de mort et de peur, de possession et d’amour impossible. Cette œuvre a le parfum d’un lent voyage onirique ténébreux et profondément pessimiste. Sous la plume de Darko Macan, il y a beaucoup d’emprunts à la littérature sous toutes ses formes. Mythologie grecque tout d’abord (excusez du peu) avec les Atrides où le destin de cette terrible famille est lié à des amours impossibles et destructeurs (l’un aime une femme qui ne l’aime pas et qui en aime un autre qui ne l’aime et qui en aime une autre…). A cet égard, le couple Carlo et sa femme sont terrifiants : Caroline, Cremona, Crozai, Coco, qui change d’identité tous les jours est le prototype de la femme fatale et vénéneuse mais qui sombre elle aussi dans sa perversion. Ainsi, le chassé croisé entre des couples qui ne s’aiment pas et qui sont attachés à l’impossible est d’un tragique racinien. Le fatum terrible et pesant de l’histoire rappelle le romantisme à la Musset : les personnages évoluent dans la ville romantique par excellence, Venise, mais n’y trouvent pas le bonheur bien au contraire. Tout y est faux semblant et mensonge ; sentiment exacerbé par la présence insidieuse de la dictature mussolinienne. C’est donc en toute logique que le final se passe en plein carnaval : le cauchemar s’intensifie avec des visages grimaçants et des rondes de fous déguisés. Cependant, l’emprunt le plus marqué est aussi le plus surprenant : Macan reprend délibérément un personnage maléfique de la série de Neil Gaiman, Sandman. Celui qui porte la ruine des rêves et la mort dans ses yeux n’est autre que le Corinthien (le titre originel de cette bande dessinée est d’ailleurs The Corinthian). Cette fois, ce personnage terrifiant devient la « vedette » de l’album. Ce spectre effrayant est une occasion de plonger en profondeur dans la face cachée des personnages : devant la mort, chacun est dévoilé au grand jour. Ce récit hallucinant et très sombre est sublimé par le talent du dessinateur croate Zezelj. Ce dernier sait tout faire : visages, batailles, mouvements, décors et n’a pas son pareil pour jouer du noir et blanc. Véritables tableaux expressionnistes, ces cases sont des plongées sans fond dans le gouffre de l’âme et donnent le frisson tant le rendu est puissant et envoûtant. Comme un leitmotiv ou une réminiscence, les thèmes de la guerre, de la mort et de l’amour déchiré seront des thèmes que ne cessera d’explorer Zezelj par la suite dans King Of Nekropolis, Luna Park ou Sexe et Violence.