L'histoire :
De nouveaux voisins viennent de poser leurs valises dans un agréable pavillon au cœur de la paisible banlieue résidentielle d'Arlington, mais cependant le profil des nouveaux arrivants est pour le moins étonnant. En effet la Vision, membre éminent des Avengers, accompagné de sa femme Virginia, de sa fille Viv et de son fils Vin ne sont pas humains. Comble de l'étrangeté : même leur boite aux lettres lévite à l'entrée de leur domicile ! Alors, malgré tous leurs efforts pour tenter de s'intégrer à leur nouveau microcosme en étant serviables et bienveillants, le vernis des conventions sociales commence lentement mais sûrement à craqueler. Certains résidents du quartier ne voient pas d'un bon œil l'arrivée de ces étrangers qui sont certes des machines extrêmement sophistiquées mais au final qui ne valent sûrement pas mieux que de luxueux grille-pains. Au lycée, les enfants essaient de s'intégrer et de se faire des amis, même s’ils apparaissent pour certains être de curieuses bêtes de foire. Malgré cette atmosphère pesante, la famille tente de mener une vie des plus normales mais tout va voler en éclat lorsqu’un vilain appelé Le moissonneur va venir les agresser sauvagement à leur domicile. Un gros grain de sable qui enraye tragiquement une mécanique pourtant parfaitement huilée.
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Tom King, en tant que talentueux scénariste de comics, se distingue par l'intérêt qu'il porte à chaque fois à la psychologie de ses personnages plutôt qu'à la débauche d'actions. Mais alors qu’en est-il de ce que peut ressentir un être artificiel, qui par définition n'a pas d'émotions propres ? Les robots ont-ils une âme ? Cette thématique est un questionnement récurrent dans les classiques de la science fiction d'Asimov à Philip K.Dick en passant par Ghost in the shell. La recherche d'identité et la quête de sens deviennent alors une constante pour ces machines qui souhaitent êtres normaux à leur façon et selon les critères que la société leur renvoie. En filigrane, Tom King fait un parallèle sans équivoque avec les questions de racisme qui traversent historiquement la société américaine car comme le chantait si justement Jim Morisson, « People are strange when you're a stranger ». Que vous soyez robot ou de minorité ethnique, chacun cherche à s'intégrer et se construit à travers le regard de l'autre en affrontant le rejet et les brimades au quotidien. Avec ce scénariste, l'American way of life en prend aussi pour son grade par l’évocation du tragique destin des nombreuses «desperate housewife» qui dépérissent dans la solitude de leur foyer. La puissance de l'histoire tient dans la capacité des auteurs à nous émouvoir en plaçant le récit au cœur de l'intimité d'une famille et en ne gardant l'intrigue, pourtant délicieuse et trépidante de supers-héros, qu'en toile de fond. Le dessin épuré de Gabriel Walta, associé au travail de coloriste de Jordie Bellaire, amplifie la sensibilité du récit avec un rendu sans fioriture qui vise juste. A l'instar d'un tableau de Hopper, ils parviennent à figer le temps pour mettre en exergue les questionnements profonds des personnages. Récompensé par une avalanche de prix prestigieux, La vision est déjà une œuvre... visionnaire.