L'histoire :
Alik Strelinkov vit à Coney Island, se shoote sans arrêt et sert d’homme de main au mafieux Nicky. Cependant, lui et sa bande sont menacés par le chef de la pègre, Felik Zhelezo, qui compte renverser le petit règne crapuleux de Nicky. Amoureux d’une des suivantes de Zhelezo, la voyante bohémienne Marina, Alik sent que son destin est lancé. Hanté par des cauchemars récurrents, il entrevoit son passé ainsi que celui sombre et violent de la Russie. Ses visions s'étalent des massacres de l’impératrice Olga jusqu’à l’exode en Amérique en passant par la guerre contre la Tchétchénie ou même la révolution Russe. L’histoire se répète sans cesse et Alik découvre l’horreur de la guerre et de la mort. Il apprend avec effroi que son amour Marina est le pantin de Zhelezo qui la tient grâce à un plan démoniaque. Il a une idée pour sauver leur amour mais le spectre de la mort attend Alik, comme il a attendu de nombreux Russes avant lui…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Ce Graphic Novel est une nouvelle occasion d’admirer le talent de Danijel Zezelj. Chose rare pour lui, il travaille en collaboration avec un écrivain et même un coloriste sur ce Luna Park. L’histoire est pourtant digne de l’univers du croate : sombre à souhait, violent et crépusculaire, l’errance d’Alik et son destin funeste sont des thèmes chers à Zezelj. La ville moderne comme prison, la drogue comme ouverture à l’errance, l’amour impossible comme piège mortel, les flashbacks incessants comme autant de cauchemar… Le scénario proposé par Kevin Baker semble avoir été taillé pour le dessinateur, tant l’univers colle parfaitement au ton sombre de King of Nekropolis, Rex ou dernièrement Sexe et violence. Pourtant, la narration se complexifie avec ses nombreux retours en arrière. Kevin Baker multiplie les récits enchâssés pour brosser un portrait de la Russie et de ses évènements historiques tragiques et sombres qui ont fauché tant de vies innocentes. Sous fond de magie ou de sorcellerie, Alik semble être le jouet d’une vaste machinerie dramatique et mortelle, prisonnier de la vie comme s’il était encerclé dans ce fameux parc d’attraction désaffecté : le Luna Park. La grande roue de la vie tourne sans cesse et les époques se mêlent au gré des cauchemars et descentes d’héroïne du personnage : Alik a vécu toutes les grandes périodes de la Russie et toujours sous un même leitmotiv, celui de la douleur et du sang. L’amour entre les êtres est magnifique mais d’autant plus dramatique qu’il est constamment voué à l’échec, broyé par l’Histoire et les guerres incessantes. La force de cet opus réside essentiellement dans le trait du grand Zezelj : corps fragiles et secs, noir et blanc fascinant, plan cinématographique... L’auteur est un maître mais le travail du coloriste dénature le talent de l’illustrateur. Les couleurs monochromes ocre, noir et grisâtre collent parfaitement au ton triste de l’ensemble mais enlèvent beaucoup de la puissance artistique de Zezelj. Par contre, le foisonnement des textes et des allusions érudites et passionnantes sur l’histoire de la Russie accompagne avec justesse le ton sombre du trait mélancolique de l’auteur. Un récit original et troublant, comme toutes les œuvres de Zezelj à découvrir pour le talent envoutant d’un dessinateur à part.