L'histoire :
Il roule depuis de longues heures. Le camion enchaîne les kilomètres comme s’il avalait l’autoroute. C’est long et monotone et il se regarde dans le reflet du pare-brise, vide et sans émotion. Il arrive enfin à une station et s’arrête pour faire une pause bien méritée. La serveuse est sympa et comme à son habitude, il la séduit gentiment. Elle n’a pas l’air très farouche mais il n’a pas vraiment le temps de s’arrêter ici car son service à elle s’arrête dans trois heures. Il a à peine le temps de faire une halte dans le pipi room et il repart. À nouveau la route longue, répétitive et ennuyeuse. Au moins, ce qui est bien dans son métier, c’est qu’on a le temps de penser à plein de choses. On peut même se ressasser les souvenirs. Mais ce n’est pas toujours un avantage. Car là, il se souvient de la scène qu’elle a lui a faite à la maison. Elle lui en voulait de repartir à nouveau et l’accuse de la tromper. Toujours les mêmes reproches avec un discours plus répétitif encore que la route ! Et toujours des mots durs voire des gros mots. Il déteste ça, surtout devant le petit. Il lui parle rapidement avant de partir et lui promet de lui acheter une voiture à son retour. Il est d’un seul coup tiré de ses pensées quand il voit sur la route une voiture garée dans sa voie. Il manque de peu de la percuter…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Jeff Lemire collectionne les séries et avec Phantom Road, il revient à un de ces genres de prédilection : le fantastique mâtiné d’horreur. Un peu à la façon de Gideon Falls, on assiste à une déconstruction du réel. Pourtant, cela démarre de façon banale, désespérément réaliste avec des personnages sans relief et à la petite vie. Mais Lemire n’a pas son pareil pour planter une intrigue et avec un subtil jeu de flashbacks, on s’attache rapidement à ces personnages ordinaires, plongés dans une situation de plus en plus extraordinaire. A propos de flashbacks, le scénariste canadien réinvente le procédé puisque lors du changement de chapitre, la première page de chaque partie présente une planche entière en guise de « bande annonce ». Une planche qu’on retrouvera donc dans le chapitre à lire : effet spectaculaire et dramatique garanti ! Pour le reste, on bascule rapidement dans l’étrange voire l’absurde. On a l’impression de rentrer dans la tête de Lemire, poursuivi par des sortes de thèmes cauchemar qui parsèment le récit et qui restent totalement inexpliqués. L’effet sur le lecteur n’en est pas moins redoutable. D’autant que le dessin de Gabriel H. Walta fait des ravages. Chacune de ses planches est impressionnante d’efficacité, alternant parfaitement moment de polar, instant horrifique ou passage psychologique. On a hâte de découvrir le bout de la route…