L'histoire :
Une bande de quatre soldats poissards, les Losers, se retrouve envoyée sur des missions jugées perdues d'avance. Poissards ? Sûrement. Perdants ? Rien n'est moins sûr. Du canal de Panama aux îles japonaises en passant par l'Allemagne nazie, ces « perdants » vont donner du fil à retordre aux forces de l'Axe et à leurs alliés. Bourrus, entêtés et bagarreurs, Johnny Cloud, Sarge, Gunner et le Capitaine Storm vont connaître des aventures qui vont les amener à la rencontre, entre autres, d'un canon géant, d'un gang de trafiquants, d'un athlète allemand, de résistants fantômes et autres bizarreries pas si bizarres que ça, toutes sorties de l'esprit fertile de Jack Kirby.
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Nous sommes en 1974 et Jack Kirby travaille pour DC Comics quand, à la demande de Carmine Infantino, l'artiste part sur une des revues de l'éditeur (Our Fighting Forces) pour tenter de ramener à la vie la série de comics The Losers, jusqu'alors écrite par Robert Kanigher (créateur du Sgt. Rock et de Flash, entre autres), qui était alors lui-même à la tête de Our Fighting Forces. Si les rapport entre Kirby et Kanigher seront pour le moins hostiles – Kanigher n'appréciant guère qu'on le remplace ainsi tout en détestant le style de Jack –, le résultat de cette reprise sera pour le moins surprenant. Car même si Kirby n'est pas du genre à reprendre les personnages des autres (il travaillait alors sur Kamandi et sur O.M.A.C.), même si The Losers n'était pas vraiment un des flagships de la Distinguée Concurrence, le résultat va rester dans les annales comme une des toutes meilleures séries de Jack Kirby auprès de l'éditeur, aux côtés de Kamandi, d'O.M.A.C., , etc. Commençons par le commencement : The Losers, ça parle de quoi ? Ne cherchez pas de points communs avec la série du même nom, publiée fut un temps par Vertigo et écrite par Andy Diggle : le lien s'arrête au nom. Il s'agit d'une équipe de soldats combattant les forces de l'Axe durant la Seconde Guerre mondiale. Le groupe se compose de Johnny Cloud, un pilote Navajo, de Sarge Clay et de Gunner Mackey. À leur tête : le capitaine William Storm, un dur-à-cuire avec un bandeau sur l’œil qui ne sera pas sans rappeler un autre officier du même genre, composé par Jack Kirby cette fois, pour Marvel. Nick Fury ça vous dit quelque chose ? Chacun de ces héros a eu droit, dans les années 60, à sa propre série de comics et c'est en 1969, dans une histoire crossover au titre éponyme, The Losers que l'équipe va se former. Avec Robert Kanigher à l'écriture, les Losers vont être des aimants à poisse. Dans ses histoires, Kanigher aime en effet mettre en relief les côtés les plus sombres de la guerre. Pas de victoire éclatante, pas de happy end. Mais quand Kirby va reprendre la série, celle-ci va prendre un tournant qui va fortement déplaire à Kanigher mais aussi à nombre des lecteurs. Le run de Kirby sur The Losers se terminera après 11 numéros, Kanigher reprenant par la suite l'écriture avec Jack Lehti au dessin. La série restera pendant longtemps aux oubliettes et ne sera ressortie des placards que des décennies plus tard, quand la « Kirbymania » s'emparera des fans réalisant l'ampleur de l’œuvre de Kirby. Alors qu'en est-il, plus de 40 ans plus tard ? Les initiés des comics de guerre comprendront sans peine combien l'approche de Kirby a pu dérouter les fans de l'époque. Sans aller jusqu'aux extrémités dont il faisait preuve en matière d'imaginaire sur ses propres séries comme O.M.A.C. ou Le 4e Monde (à quelques exceptions près), l'auteur et artiste insuffle de la vie et de l'aventure dans ce qui était jusqu'alors un tableau sombre de la guerre (presque paradoxal quand on connait le passé militaire de l'artiste). Le fracas des armes, les explosions, les fragments volant autour des héros. La dynamique de Kirby fait des merveilles et fait de cette série un vrai page-turner comme le King savait si bien en faire. Si des idées comme celle du prototype de canon géant des nazis, Big Max, peut prêter à sourire, les curieux et fanatiques de la Seconde guerre savent quant à eux que les nazis avaient effectivement déployé des projets d'une envergure similaire et tout aussi délirants (voir le « Landkreuzer », un authentique projet de tank pesant 188 tonnes (!)) et je ne vous parle même pas de la diversion consistant à inventer une super arme de toutes pièces pour impressionner l'ennemi (la Corée du Nord emploie encore de telles ruses de nos jours). En réalité, l'approche sombre de Kanigher était la version romancée de la guerre. C'est la version dingue, explosive et hallucinée de Kirby qui était la plus proche de la réalité. On retrouve en vrac le judo, les personnages féminins forts, Wagner, les Krackles, la mythologie... Tout cela, mélangé aux côtés les plus extravagants de la guerre (et moins connus du grand public) comme les enfants envoyés au front ou l'exploitation des réfugiés produit un mélange explosif, illustré comme toujours avec talent par Kirby. Si l'encrage de D. Bruce Berry n'est pas toujours des plus flatteurs (on sent la perte de détails, notamment sur les visages), celui de Mike Royer permet aux illustrations d'en mettre plein les yeux. C'est ce mélange paradoxal d'incroyable pourtant pas si éloigné de la vérité et d'imaginaire purement « Kirbyen » qui fait toute la saveur de la série. Intégralement réunis dans ce recueil, les onze numéros que Kirby aura réalisés constitueront au pire une intéressante curiosité et seront sinon pour les fans du King un véritable cadeau tombé du ciel. Avec un parachute, un gros barda et un cigare fumant, on imagine.