Le nom de Dan Abnett hante les comics depuis les années 90. Ce scénariste anglais a travaillé pour les plus prestigieuses revues et maisons d'édition comme 2000 A.D., Marvel ou DC Comics. En parallèle, il est devenu l'un des romanciers les plus appréciés des fans de l'univers Warhammer pour avoir imaginé des récits ambitieux et fabuleux. Collaborant durant de nombreuses années avec l'encreur Andy Lanning, il s'est vu confier en 2008 par la Maison aux idées la tâche de reconstruire l'univers cosmique de la marque. Parmi les nombreuses séries qu'il chapeautera et relancera, il y a notamment Les Gardiens de la Galaxie. Sa version servant de base au long métrage sorti à l'été 2014, nous avons questionné Dan Abnett sur sa carrière, son ancienne association avec Andy Lanning et ce qu'il pense du film de Marvel...
interview Comics
Dan Abnett
Réalisée en lien avec les albums Les Gardiens de la Galaxie (vol.2) T1, Annihilation T1, Iron Man (revue) – Hors série, T5
Bonjour Dan Abnett, peux-tu te présenter ?
Dan Abnett : Je m'appelle Dan Abnett et je suis un auteur britannique de romans, de comics, de jeux et d'autres choses encore. J'ai écrit un très grand nombre de comics, une cinquantaine de romans etc... Enfin bref, plein de choses. J'ai commencé à travailler dans les comics quand j'ai quitté la fac et que j'ai obtenu un job éditorial auprès de Marvel, à Londres. C'est là que j'ai commencé à écrire puis je suis passé freelance.
Quelles ont été tes influences ?
Dan Abnett : Il y en a beaucoup : un paquet de fictions, de livres, de films et de comics. En termes de comics seuls, je dirais Jim Starlin, Steve Gerber, John Buscema, Frank Miller, Alan Moore, Chris Claremont, John Byrne, Jim Steranko...
Préfères-tu écrire des romans ou des comics ?
Dan Abnett : J'adore œuvrer dans les deux et aussi dans l'écriture de jeux (j'ai récemment travaillé sur Alien : Isolation et sur Shadow of Mordor, ainsi que sur d'autres jeux à venir). Ce sont juste des disciplines différentes. J'adore le processus collaboratif entre artistes, dans les comics, ainsi que la notion de narration visuelle mais pour ce qui est des romans, j'apprécie cette interface directe que l'on a avec les lecteurs, mes mots étant transmis directement à ce dernier, sans passer par un intermédiaire.
As-tu une approche différente selon que tu écrives un roman ou un comics ? Si oui, en quoi ?
Dan Abnett : Oui. D'un côté il y a les différences évidentes telles que le format, la structure et le traitement. De plus, les histoires qui, pour moi, feraient de bons romans ne feraient pas nécessairement de bons comics et vice-versa.
Tu as participé au magazine 2000 A.D où tu as travaillé sur des séries telles que Sinister Dexter, Judge Dredd ou Rogue Trooper. Comment perçois-tu, aujourd'hui, cette période dans ta carrière ?
Dan Abnett : Comme je le disais, j'ai d'abord travaillé pour Marvel, en Grande-Bretagne puis aux USA avant de revenir travailler pour 2000 A.D. (j'admets que ce n'est pas la manière dont les auteurs britanniques procèdent, d'ordinaire). Je travaille pour 2000 A.D. depuis vingt ans maintenant et je travaille sur des séries comme Sinister Dexter. Je pense que c'est une formidable vitrine pour les idées et les dessins.
Penses-tu que d'avoir travaillé sur des personnages aussi iconiques que ceux de Marvel ou de DC Comics a modifié ta façon de travailler ?
Dan Abnett : J'ai déjà écrit pour des personnages que je considère comme iconiques, tels que Doctor Who ou Judge Dredd, mais j'avoue que c'était exaltant de pouvoir travailler sur Batman ou Iron Man, par exemple. C'est un peu effrayant de se voir confier la responsabilité d'écrire pour de tels personnages.
Tu as longtemps collaboré sur l'écriture de scénarios avec Andy Lanning. Peux-tu nous décrire comment vous fonctionniez ?
Dan Abnett : Lanning et moi-même prenions part à des séances de brainstorming autour de nos idées. Il n'est pas auteur et rien de ce que tu pourras lire de nous n'a été écrit par lui. Il définissait de grandes lignes ou des idées qu'il me confiait, de temps à autre, mais c'est moi qui me suis occupé de l'intégralité des scripts et des dialogues sur la duréede notre collaboration. On a mis nos deux noms sur le poste d'écriture car cela semblait être la chose la plus simple à faire mais ça n'a jamais été du 50/50. En gros, on se rencontrait, on s'échangeait des idées et à partir de là, je réalisais les scripts.
Tu as souvent repris des séries ou des univers déjà existants. Vois-tu une raison à cela ?
Dan Abnett : Je ne pense pas que ce soit quelque chose de si inhabituel que ça. La plupart des auteurs sur le marché américain reprennent des séries que les auteurs précédents ont laissé et y apposent à leur tour leur propre marque. C'est comme ça que ça marche. J'ai aussi créé beaucoup de nouveaux titres, des séries m'appartenant comme Wild’s End (Boom!), Dark Ages (Dark Horse), The New Deadwardians (Vertigo), ainsi que sur des séries de 2000 A.D. comme Sinister Dexter, Kingdom, et Grey Area.
Quand tu as repris l'univers cosmique de Marvel, celui-ci était alors tombé plus ou moins en désuétude. Ton arrivée à bord a lieu avec l'histoire de Nova prenant place durant l'event Annihilation. Est-ce qu'à l'époque Marvel t'avais donné des indications sur une direction particulière à prendre avec cette histoire ou bien disposais-tu d'une liberté totale ?
Dan Abnett : Il fallait que l'ensemble s'insère dans l'event Annihilation dont Keith Giffen avait la charge mais à part ça, j'avais une grande liberté de création.
Dès lors, il y a eu un grand nombre de crossovers (Annihilation Conquest, War of Kings, Realm of Kings, The Thanos Imperative,...). Avais-tu prévu que la mise en place de l'univers cosmique nécessiterait autant d'events ?
Dan Abnett : Pas vraiment. J'ai toujours aimé l'univers cosmique de Marvel alors plus on m'en demandait, plus j'en envoyais. Plus je mettais de personnages, plus gros devenaient les events. Une histoire réussie en appelant une autre.
Peut-on dire qu'avec toi à la tête de l'univers cosmique, Marvel tient là sa propre version de l'univers Star Wars ?
Dan Abnett : Mon Dieu, je ne sais pas. En tous cas c'est ce qu'ils ont l'air de vouloir faire avec le film Les Gardiens de la Galaxie.
En plus des crossovers et d'autres séries en cours, tu as repris Les Gardiens de la Galaxie et tu en as fait quelque chose de très fun, une excellente série. Est-ce qu'on t'as imposé des contraintes vis-à-vis de l'univers Marvel existant, l'univers "classique" ?
Dan Abnett : Pas du tout. À ce moment-là, l'univers cosmique et ses personnages figuraient dans la quatrième division chez Marvel. Ils m'ont laissé faire ce que je voulais.
Durant Annihilation Conquest, Keith Giffen a réuni certains personnages de l'univers Marvel juste pour cette occasion. Tu as fait quelque chose de similaire avec Les Gardiens de la Galaxie. T'es-tu inspiré de l'approche de Keith Giffen ou bien avais tu prévu de faire cette réunion dès le départ ?
Dan Abnett : Keith était le chef sur Annihilation, les grandes lignes avaient été établies quant aux résurrections et aux redéfinitions d'anciens personnages. Il s'agissait surtout, pour nous tous, de donner un nouveau souffle à des personnages oubliés.
Après Thanos Imperative, l'univers cosmique a été plus ou moins remisé par Marvel afin de se focaliser sur le lancement de Marvel Now ! Pourquoi ne pas être retourné sur Les Gardiens de la Galaxie ou encore sur l'univers cosmique juste après ?
Dan Abnett : A ce moment-là, le film Les Gardiens de la Galaxie était déjà en cours de développement et Marvel s'était soudainement pris d'intérêt pour tout ce qui avait trait à l'univers cosmique. Il était temps de remuer les choses. Je suis de retour sur Les Gardiens de la Galaxie, à présent, avec Guardians 3000, qui commence en septembre, une série avec les personnages du line-up d'origine, de 1969. J'ai aussi écrit un roman sur Rocket et sur Groot intitulée "Steal the Galaxy" qui est sorti juste avant la sortie du film. Je crois que le premier tirage est déjà épuisé. C'était très amusant.
Quand tu as repris les Les Gardiens de la Galaxie, avais-tu des prérequis ou des contraintes vis-à-vis de la série et de ses versions précédentes ?
Dan Abnett : Pour être honnête, je n'avais qu'une seule chose en tête, c'était de m'amuser le plus possible avec le plus grand nombre de personnages parmi ceux que j'ai pu aimer, en tant que lecteur.
As-tu eu l'occasion de voir le film Les Gardiens de la Galaxie? Si oui, as-tu apprécié de pouvoir voir que la plupart de tes personnages ainsi que d'autres éléments de tes histoires avaient été repris ?
Dan Abnett : Oui. J'ai été invité à la première et j'ai adoré le film. C'est un film génial et j'étais emballé de pouvoir voir mes créations prendre vie à l'écran. Le réalisateur, James Gunn, a eu la gentillesse de déclarer qu'il s'était basé sur mon run sur cette série comme base pour le ton et le style visuel du film. Il m'a aussi invité deux ou trois fois sur le plateau de tournage. Très cool.
A l'occasion la sortie des Gardiens de la Galaxie, tu as écris plusieurs histoires servant de prologue au film. Je les ai lues et je trouve que tu as réussi ton coup. C'est la première fois que je trouve qu'un tel format - un comics servant de prologue à un film - est aussi bon. Comment as-tu approché l'écriture de ces histoires ?
Dan Abnett : Le fait de pouvoir me rendre sur le plateau et d'avoir accès au script m'ont aidé. Tout autant que les idées et les approbations de James Gunn comme des studios. En réalité, c'est lui qui m'a expressément demandé d'écrire ce prologue.
Tu as aussi écrit nombre de romans prenant place dans les univers de Warhammer et de Warhammer 40.000. Tous ont rencontré un franc succès auprès des fans. Qu'est-ce que ça te fait d'être surnommé le R. A. Salvatore de Warhammer ?
Dan Abnett : C'est très flatteur. J'adore Warhammer et 40.000 et j'ai écrit beaucoup d'histoires se déroulant dans ces univers depuis vingt et quelques années. C'est une très grande partie de mon œuvre et j'y suis très attaché.
En 2008, tu as commencé à publier des romans originaux, ne prenant place dans aucun univers ou aucune franchise existant. Qu'est-ce que cela t'a fait d'emmener tes lecteurs en terrain inconnu, de cette manière ?
Dan Abnett : C'est super de pouvoir écrire des choses comme Triumff et Embedded, de me libérer en terme d'expressivité et de pouvoir créer mes propres univers plutôt que de travailler en me servant de ceux d'autres auteurs comme bases. C'est tout aussi vrai pour des comics que j'ai créés pour 2000 A.D. comme NewDeadwardians, Wild’s End, Dark Ages etc. C'est libérateur et ça change, créativement parlant. ça met en place tout un ensemble de nouveaux défis: d'un côté je dois travailler très dur pour pouvoir me placer dans un univers déjà défini par un autre auteur tandis que de l'autre, il me faut travailler aussi très dur pour carrément construire bâtir mon propre univers. Chacune de ces approches est, à sa manière, très gratifiante. Mais j'ai encore pas mal de romans et de comics originaux dans mes cartons.
Tu as aussi repris la série Soldier Zero, à la suite de Paul Cornell. Etant donné que ces séries ont été, à l'origine, écrites par Stan Lee, as-tu jamais eu l'occasion de t'entretenir avec "le Boss" ?
Dan Abnett : Stan y a jeté un œil et a approuvé tout ce que l'on a fait sur cette série. C'était son bébé.
Sur ton site web, tu te mets souvent en scène de manière humoristique. Aimerais-tu écrire une histoire purement dans cette veine ?
Dan Abnett : Oui. Mais je pense en avoir déjà fait pas mal dans ce domaine, cela dit : Triumff, Rocket and Groot: Steal the Galaxy, et Sinister Dexter par exemple. Il y a souvent de l'humour dans ce que j'écris, comme dans Les Gardiens de la Galaxie, et même dans des choses comme New Deadwardians. Même dans des situations très sérieuses, les gens peuvent s'avérer très drôles.
De quelles histoires es-tu le plus fier ?
Dan Abnett : Oh, c'est trop difficile. Je suppose que cette liste débuterait par Les Gardiens de la Galaxie, Sinister Dexter, New Deadwardians, Wild’s End, Eisenhorn, Embedded...
Que penses-tu de l'industrie des comic-books aujourd'hui ?
Dan Abnett : ça m'a l'air plus sain que ça ne l'a été. En tous cas, je suis enthousiasmé par la diversité que l'on peut observer grâce à des éditeurs comme Image Comics, Boom! et Dark Horse. Il y a à l'heure actuelle beaucoup d'excellents comics publiés qui n'aurait jamais pu trouver d'éditeurs il y a de cela quelques années.
En tant que britannique, as-tu jamais eu l'envie de travailler pour le marché français ?
Dan Abnett : oui et j'aimerais vraiment, vraiment pouvoir le faire. Sérieusement.
Quels sont tes futurs projets ?
Dan Abnett : Wild’s End, Dark Ages, Guardians 3000, He-Man: The Eternity War, Infinite Crisis (DC), Battlestar Galactica (Dynamite), encore de nouveaux Warhammer, de nouveaux jeux et aussi quelques petites choses encore secrètes dont je ne peux pas encore parler. Oh, et mon épouse - Nik Vincent - et moi-même écrivons un roman sur l'univers de Tomb Raider.
Si tu avais la possibilité de visiter le crâne d'un autre auteur afin de comprendre son art, ses techniques, qui choisirais-tu et pourquoi ?
Dan Abnett : Oh bon sang. HP Lovecraft ? Edgar Rice Burroughs ? Ray Bradbury ? Jack Vance ? Jack Kirby ? Stephen King ? En réalité, et même si ça fait un peu cliché, si je pouvais y aller carrément, je choisirais Shakespeare, quelle que fût cette personne [NDT: il existe une polémique sur la réelle identité de l'auteur désigné par le nom de Shakespeare]. Non mais c'est vrai, quoi, tu imagines l'art et la quantité de techniques que tu pourrais y trouver ?
Merci beaucoup Dan !
Remerciements spéciaux à Alain Delaplace pour la traduction.