Depuis quelques années, Dav Guedin trace son bonhomme de chemin en publiant des BD qui vous attrapent à la gorge comme un bon vieux Rottweiller. Son Noir et Blanc parfois inquiétant s'associe alors au ton cru et à l'humour sec, comme un coup de trique. Oui mais voilà, derrière la provoc', y'a un mec dont on devine qu'il a un cœur gros comme ça. Et avec Down with the kids, un bouquin consacré aux mômes dont il s'est occupé à l'école, l'auteur nous livre une facette tendre et apaisée de sa créativité. Avec le naturel qui le caractérise, il a accepté de répondre à nos questions, sans prise de tête !
interview Bande dessinée
Dav Guedin
Salut Dav, peux-tu te présenter et nous dire ce qui t’as amené à faire de la BD ?
Dav Guedin : Je suis un jeune homme d’un certain nombre d’années qui aime bien raconter des histoires vraies ou pas, drôles ou pas. Je ne pensais pas, dans mes rêves les plus fous, que je ferai de la BD, et pourtant j’adore ce média depuis la petite enfance parait-il. Même bébé, c’est le seul truc qui me tenait en place (bon je déchirais un peu les pages quand-même). Comment j’en suis arrivé là ? Bah j’ai fait le site internet de mon éditeur chouchou « le dernier cri », il n’avait pas de sous pour me payer alors m’a laissé faire un petit bouquin en sérigraphie avec mon frère. On a adoré faire ça et les frères Couillus sont nés, puis ils sont devenus les frères kk selon nos parutions et enfin les frères Guedin.
Ton activité artistique et professionnelle ne se limite pas à la BD. Tu t’es formé aux tatouages notamment. Parle-nous de tes influences, en matière de graphismes, mais aussi en matière de narration.
Dav Guedin : Mes goûts en BD sont assez larges et mes influences aussi. Chez les français, j’ai grandi avec les BD de Reiser (ça me choquait, gamin, mais j’adorais quand-même), Tardi, la BD rock des années 80 avec les Lucien, Kebra, les closh, Raoul Teigneux et autres copains qui me racontaient la banlieue parisienne qui me faisait rêver dans notre morne campagne.
Un auteur que j’adore c’est Lauzier. Ce mec avait un don pour dévoiler la bêtise humaine et son orgueil dans toute sa splendeur, sans méchanceté vraiment, mais avec une précision d’horloger. Ses héros c’est nous, on s’en prend plein la tête, mais qu’est-ce que c’est bon ! Tout le monde y passe et ça fait du bien. Et puis en quelques traits les femmes étaient sublimes. Intemporel.
Sinon les Charles Burns, Daniel Clowes, Robert Crumb sont mes stars américaines de la BD, mais bon, y en a tellement d’autres et dans des univers différents…
Ton actu, c’est Down with the kids, paru aux éditions Rouque-Moute et pré-publié dans la revue Aaargh !. Tu avais déjà traité du sujet de ton expérience d’encadrement auprès des enfants, dans Bray Dunes 99 (réédité en intégrale : Colo Bray Dunes). Mais cette fois-ci, tu privilégies une approche plus douce. Peux-tu nous expliquer ce choix ?
Dav Guedin : C’est simple : je venais de donner ma démission à la ville de Paris, après avoir passé des années à animer des ateliers et encadrer des enfants. Je ne voulais pas tourner la page comme ça. Ça avait beaucoup trop compté pour moi ! J’ai un profond respect pour les fonctions d’animateur ou d’éducateur qui ne sont pas assez mises en valeur et prises au sérieux, alors qu’on a de sacrés responsabilités quand-même ! Et j’adore les mômes, c’est de la joie en barre. Alors oui, j’ai pris le parti de choquer mon public péniblement récolté en faisant un bouquin plus « mignon » ou attendrissant. Je ne pouvais pas faire autrement. En même temps après Breizhskin que même moi j’ai du mal à relire, tellement il est dur et qu’il n’a pas été facile à accoucher, je pouvais me permettre !
Et je ne vous raconte pas le plaisir que j’ai eu à me rappeler ces petits moments de vie qui m’ont marqué. Hmmmm.
Cet album, c’est une première en matière de colorisation et tu t’en expliques dans ton avant-propos. Tu as opté pour des aquarelles. Parles-nous un peu technique et dis-nous si tu as envie de recommencer ou d’employer d’autres techniques. A moins que tu ne veuilles revenir au noir et blanc qui te caractérisait jusque là… ?
Dav Guedin : Il fallait que je tranche avec mon boulot en noir et blanc, car le fond était très différent de ce que j’ai l’habitude de faire, comme je disais. J’avais fait deux-trois dessins à l’aquarelle, j’avais bien aimé. Le fait que ça passait dans AAARG et qu’il y avait donc des échéances, j’étais obligé de m’y coller ! J’aime bien me mettre des contraintes ! Bon après c’est super lourd, l’aquarelle, par moments. J’ai écrit que c’était la dernière fois, mais en fait, ça commence à me manquer. Comme quoi !
Mais retour obligé au noir et blanc… plutôt au crayon direct, même.
Tu as signé de nombreuses BDS en collaboration. On pense en particulier à ton frère Gnot et à Craoman. On imagine que ça a été l’occasion de pas mal d’échanges. Quand tu es seul à mener un projet, comment dialogues-tu avec toi-même ? T’entoures-tu de conseils ?
Dav Guedin : Oui, je demande un peu conseil, mais après, surtout. J’aime bien faire le truc à ma sauce et voir après s’il y avait moyen de faire autrement et l’appliquer sur l’histoire d’après. Alors peut-être que le style évolue dans une direction un peu différente à chaque fois, mais je m’y retrouve plutôt pas mal là-dedans. J’admire les auteurs de BD qui savent se représenter à la perfection à chaque fois d’une case à l’autre. Moi, j’ai pas forcément la même tronche, mais ça me dérange pas plus que ça. Et puis mon dessin n’est pas très « académique » et j’en n’ai pas envie.
Si on regarde l’ensemble de tes productions, tu traites toujours d’un sujet. Sans être exhaustif, cela va de la famille (là, y’a pléthore) à la sexualité, le handicap, le mouvement skin et le punk, le logement, entre autres, en passant par l’enfance, donc. Down with the kids est en quelque sorte aussi tendre que tu as pu te monter acerbe en d’autres occasions. Comment te vient l’envie d’aborder les thèmes que tu choisis et leur angle d’attaque ?
Dav Guedin : C’est plutôt les thèmes qui s’imposent à moi par envie ou par opportunités. La première BD que j’ai vraiment eu envie de faire, c’est Colo Bray-Dunes. L’expérience m’avait tellement marqué qu’il fallait que ça sorte. Je voulais moi-même lire une BD qui traite de ce sujet, de la façon dont on l’a raconté sans fioriture. Je suis très content de l’avoir fait. Avec Craoman on a partagé un gros truc sur cette BD, on a appris beaucoup. Il savait que pour moi, chaque détail comptait. Et puis on prend goût à raconter des histoires. Parfois, elles arrivent comme ça et tu te dis que là-dedans, il y a de quoi faire une bonne BD ! Parfois, tu sais pas vraiment pourquoi, et tu le comprends en faisant la BD. Et puis d’autres fois, t’as juste à puiser dans tes propres souvenirs. Se rappeler combien ce moment ou cet autre t’a touché. On a tous une banque d’émotions en nous qui ne demanderait qu’à faire tout ressurgir pour le meilleur ou pas. Je pense qu’à travers mes histoires de puceau, les gens se reconnaissent et revivent leurs propres expériences. Ou alors ce sont juste des voyeurs.
Difficile de ne pas te rattacher à la BD indé. Quel regard portes-tu sur la BD en France et sur le monde de l’édition, sachant que bon nombre de tes BD ont été publiées en autofinancement ou financement participatif, comme Down ?
Dav Guedin : Bah le monde de l’édition est sacrément saturé. On fait des livres pour un oui pour un « nom », de nos jours, mon bon monsieur. Je trouve ça plutôt positif, dans un sens où ça offre un panel de publications très diverses et tout le monde y trouve son compte. Mais dans l’autre sens, ça crée un gros turn-over dans les librairies. On ne laisse parfois pas beaucoup de temps pour qu’un livre existe. Les libraires ne sont pas en cause, je trouve qu’ils sont de plus en plus au taquet ! Si pour exister on doit s’autoproduire ou faire appel au financement collaboratif, faisons-le !
Plus généralement, es-tu encore lecteur de BD et auquel cas, quel a été ton dernier coup de cœur ?
Dav Guedin : Oui évidemment. Je n’en achète presque plus, j’ai plus la place. J’habite à paris. Mais je pille les médiathèques. Mon dernier coup de cœur, je ne saurais même pas le dire vraiment. Consommateur impulsif.
Ah si ! Patience de Clowes !
Dernière BD achetée, c’est peut être bien Prison pit de Johnny Ryan.
On imagine aussi que tu as pas mal de projets dans tes tiroirs. Mets-nous au jus !
Dav Guedin : J’en ai un sur le pouce, que j’ai hâte d’attaquer au corps, sur la vie d’un huissier de justice, cousin de mon père. Il s’est donné la mort en 2015, mais a laissé un manuscrit où il se raconte. Je pense vraiment pouvoir en faire un livre prenant. Les faits sont là. Pas tous, je suis obligé d’enquêter, d’essayer de comprendre l’homme que je n’ai pas connu. J’ai trouvé des perles dans sa vie. Sa vision est très subjective et orientée, mais on y lit tellement de choses entre les lignes… En parlant aussi avec sa famille proche (j’ai rencontré des cousines supers ! un peu folles aussi !) j’ai vu l’envers du décor. Un gros morceau !
Sur planetebd, on a une question spéciale et un peu psycho. Si on te donne le pouvoir de sonder l’âme d’une personne, pour en connaître les méandres, comprendre son rapport au monde, ce qui l’inspire, son processus créatif, qui choisirais-tu de visiter en toute impunité et pourquoi lui ou elle ?
Dav Guedin : Franchement, ça ne m’intéresse pas du tout. J’aime découvrir les gens au fur et à mesure, être surpris par qui ils se révèlent être. J’observe beaucoup les gens et j’aime leur voler des petits moments de vie en les croisant et en me racontant des histoires sur eux. J’aime décortiquer les gens avec tous les petits signes qu’ils pensent invisibles, ça me plait. Alors voir direct tout ce qu’il y a dedans prrrrt je m’en fiche. Ça casse toute magie.
Merci Dav !