interview Bande dessinée

Erroc

©Bamboo édition 2014

Le scénariste Erroc a écrit moult gags et plaisanteries : il a, entre autre, repris les histoires décalées de Cubitus mais il est surtout connu pour avoir créé la série Les profs. Les lecteurs y revivent avec joie les affres de l’école en se moquant gentiment de professeurs qui ressemblent furieusement à ceux qu’ils ont côtoyés. Le succès des albums ont valu à la série d’être adaptée au cinéma. Avec nous, le prolifique scénariste est revenu sur son travail sur la série et sur le nouveau Profs, tome 16. Une interview au festival de Saint Malo avec un homme charmant, modeste et affable : forcément pédagogique !

Réalisée en lien avec les albums Les profs T16, Les nouvelles aventures de Cubitus T9
Lieu de l'interview : Festival Quai des bulles de St Malo

interview menée
par
7 février 2014

Bonjour Erroc. Peux-tu te présenter aux lecteurs ?
Erroc : Je m’appelle Gilles Corre, mais je suis Erroc. Je fais de la bande dessinée depuis au moins 25 ans. J’ai surtout travaillé dans la presse, au début chez Pif Gadget et Le journal de Mickey. Du coup, j’ai fait beaucoup de choses dans la BD, surtout j’ai travaillé sur des héros qui n’étaient pas les miens. J’ai appris à écrire des scénarios sur des personnages de Disney ou de Vaillant. Ensuite, je me suis dirigé vers les éditions Bamboo où j’ai fait des projets et notamment Les profs qui a bien marché. Donc maintenant, je ne travaille plus dans la presse mais dans l’édition.

Comment est née la série Les Profs ?
Erroc : Je ne me rappelle plus bien, à la longue… On nous le demande souvent, mais je finis par oublier un peu les débuts. En ce qui me concerne, j’habitais à côté d’un collège et j’avais des voisins qui étaient enseignants. Ils débutaient, donc ils en parlaient tout le temps. Ils avaient des angoisses car c’était en banlieue parisienne et ils avaient la trouille d’affronter des gamins insupportables, alors que nous habitions plutôt dans une banlieue calme. A l’époque, je cherchais un projet de BD sur l’école et je me suis rendu compte qu’il y avait beaucoup d’enfants dans la bande dessinée. J’ai donc eu l’idée d’inverser la chose en me plaçant du point de vue des adultes à l’école. D’ailleurs, au début, je ne voulais jamais montrer les gamins. Cependant, cela devenait presque impossible et il fallait en plus que cela intéresse les enfants. La série est donc autant née d’une réflexion sur un univers souvent montré au second plan dans la bande dessinée, et de mon entourage qui parlait de cela constamment.

© Bamboo Editions, Erroc, Pica

Connais-tu la série télévisée Pep’s qui traite aussi des professeurs à l’école ?
Erroc : On m’en a parlé mais je ne l’ai pas vue mais à force d’en entendre parler, je vais m’y intéresser de plus près. Avec le film Les profs qui a eu beaucoup de succès, c’est un thème qui devient à la mode. C’est aussi un sujet difficile à épuiser, tellement il y a de choses à dire.

Combien de tomes comptes-tu encore réaliser pour cette série ?
Erroc : Le tome seize est sorti en novembre. C’est une question difficile car on pense toujours que dans les séries au long cours, les auteurs n’ont plus d’idées. Pourtant, même si de l’extérieur, on a toujours l’impression qu’on fait la même chose, ce n’est pas le cas. Tant que je prends du plaisir et que j’ai l’impression de ne pas trop me répéter, c’est un univers qui m’intéresse. Si j’avais des lecteurs, des proches ou même des enfants (qui sont grands maintenant) qui me disaient que je me répétais, je pense que je me poserais la question et que j’arrêterais. Il faut que ce soit pertinent un certain temps, sinon ça ne vaut pas la peine de continuer.

Peux-tu nous présenter le sujet du tome seize ?
Erroc : On a à la fois les histoires quotidiennes où l’on retrouve les mêmes personnages et des nouveaux qui font leur apparition. On a donc un prof d’EPS tout jeune qui fait son entrée. Pour l’anecdote, le prof de sport Eric est le seul que je n’ai pas inventé. Il existe vraiment et je le connais encore aujourd’hui. Il était débutant à l’époque et il passait sa vie à courir dans tous les sens. Je me suis inspiré de ce personnage réel, qui est devenu un ami, pour la BD. J’ai décidé de lui coller dans les pattes un petit jeune qui débarque, parce qu’entretemps, il s’est passé quinze ans et il commence à être un peu essoufflé et avoir de l’arthrose. C’est la nouveauté de la série. On a aussi une nouvelle proviseure, mais l’ancien essaie de revenir. C’est une espèce de running-gag qui crée le rire, un peu comme un personnage qu’on pousse par la porte et qui revient par la fenêtre. L’ancien proviseur, parti sur un coup de tête parce que sa femme voulait ouvrir une auberge en Ardèche, tente régulièrement de refaire surface. Finalement, on s’est aussi permis un petit détour par le film, puisqu’on a été associé à cette formidable aventure. On s’est donc dit qu’on allait leur rendre la pareille en leur faisant un petit clin d’œil. On a donc inventé un faux réalisateur qui vient dans notre lycée pour tourner un film avec nos personnages, au lieu de prendre de vrais acteurs. Les acteurs sont trop cabotins et ils en font trop… Il va donc faire un film avec des vrais profs, mais c’est un désastre total. A la fin de l’album, il décide de faire un film avec des acteurs…

© UGCA propos du film justement, comment le projet a-t-il démarré ?
Erroc : C’est le studio UGC qui nous a proposé le projet. En général, nous n’avons pas notre mot à dire. C'est-à-dire qu’on choisissait nous-mêmes d’adapter la bande dessinée en film ou alors, on s’en remettait à une autre équipe. Il y a donc eu un scénario qui a été écrit par Pierre-François, le réalisateur, plus un autre scénariste, et on a été consulté à toutes les étapes. J’ai donné mon avis sur le scénario… J’ai pensé qu’il y avait des choses qui n’allaient pas ou qui seraient mieux de changer. Parfois, ils en ont tenu compte, parfois non… Mais on a eu un vrai échange là-dessus. On a toujours été associé au casting, au tournage et à la promotion du film. Le réalisateur disait toujours que c’était un film adapté d’une BD et il n’a jamais oublié de le dire. On a été intégré à ce projet en sachant qu’il y a quand même des différences entre la bande dessinée et le film. Au final, mais c’est très bien. On a l’impression que c’est autre chose.

Avec le recul, es-tu satisfait du film ?
Erroc : Oui bien-sûr. Mais dès le départ, j’avais envie de l’aimer car comme je le disais, on a été assez étroitement associé au projet. Je me suis aussi rendu compte que c’est un film que j’ai aimé car je l’ai vu plusieurs fois. J’ai vu que je riais toujours aux mêmes endroits et je retrouvais au fur et à mesure les éléments qui avaient été pris dans la BD, et que je n’avais pas forcément remarqué la première fois. Pierre-François a réussi à écrire une histoire longue, ce que l’on ne fait jamais dans la BD, puisque ce sont des gags. Il a repris des éléments que j’avais oubliés. Il a parsemé le film de nos idées et maintenant je comprends pourquoi il respecte l’esprit de nos albums. Les personnages sont en gros conformes à ce qu’on avait fait, à part deux ou trois changements parce que ça l’arrangeait pour le scénario. Mais encore une fois, l’esprit est là.

© UGC

Y aura-t-il une suite au film ?
Erroc : Pour l’instant, c’est en discussion, car je sais que le premier a bien marché. Mais je ne peux pas dire grand-chose, à part que UGC pense sérieusement à en faire un second. Après, ce sont des questions d’emploi du temps, de budget… C’est toujours compliqué de faire une suite car l’objectif est que la suite sorte très peu de temps après le premier. De plus, un film monopolise plusieurs rôles, avec une dizaine d’acteurs qui doivent tous être libres en même temps. Je n’en sais pas plus, car c’est en court pour l’instant.

Comment trouves-tu de nouvelles idées pour la série BD Les profs ?
Erroc : En fait, ce que je ne veux pas, c’est utiliser des anecdotes. Au début, il y a pas mal de gens qui m’ont envoyé des anecdotes « clefs en main » parce qu’il s’est passé telle ou telle chose. Soit ce n’était pas très drôle, soit ça ne collait pas avec mes personnages. Bref, pour moi, ce n’était pas intéressant. J’ai toujours dit que pour faire un western, il ne fallait pas forcément être un cow-boy. Mon travail est d’imaginer des choses. Là, on est dans un monde contemporain avec une corporation que tout le monde connaît pour être passé entre les mains de leurs membres. Donc il faut un petit lien avec la réalité. Je lis des livres, je suis l’actualité et je regarde dès que cela traite de l’Education Nationale. Je lis aussi les blogs de profs et c’est très instructif, car il y a à la fois des gens qui défendent leur métier et qui l’adorent et, a contrario, des gens qui en sont complètement dégoûtés. C’est intéressant d’avoir une vision sur une ambiance générale. J’utilise l’actualité si ce n’est pas un fait qu’on peut oublier vite. J’évite de faire des gags sur des évènements qu’on oubliera deux mois après. Par contre, je traite des réformes de rythme scolaire, des aménagements de vacances ou des sujets qui reviennent régulièrement. S’il y a une petite anecdote d’actualité que je trouve intéressante, je vais l’utiliser, mais toujours en partant de mes personnages et en construisant quelque chose autour.

© Bamboo Editions, Erroc, Pica Quel retour as-tu des enseignants ?
Erroc : On a des bons retours, car ceux qui n’aiment pas n’en parlent pas, à mon avis. En dédicace, je ne vois que des gens qui aiment bien. Ce qui revient souvent est qu’on nous dit qu’on n’est pas malveillants. C’est le but, donc on est content d’avoir réussi ça. A aucun moment, on s’est dit qu’on allait « casser du prof ». Mon collègue Pica et moi, on n’a vraiment pas eu une scolarité difficile. A partir du moment où l’on invente des personnages qui sont stéréotypés, on rigole évidemment avec ça, mais on ne voulait pas attaquer le métier. Les enseignants disent souvent que les personnages sont caricaturaux et « too much » mais finalement, ils sont sympathiques.

© Bamboo Editions, Erroc, Pica Est-ce que tu as un personnage préféré parmi les profs ?
Erroc : En fait, l’élève Boulard qu’on met en scène a pris de plus en plus d’importance. Je me suis rendu compte que, grâce à lui, on osait dire des choses qu’on n’aurait pas osé dire quand on était lycéen. C’est un peu ce qu’on pourrait nous dire aujourd’hui dans une réunion parents-professeurs. C’est un personnage complètement fictif, car ça fait quinze ans qu’il est dans le même lycée sans avoir bougé. C’est drôle, d’ailleurs, car ça ne gêne pas du tout les lecteurs, alors que ça ne tient absolument pas debout. Cette espèce de personnage inamovible, qui reste en terminale depuis quatorze ans, c’est un peu la voix des auteurs. Je me suis rendu compte que je faisais de plus en plus de gags avec lui et c’est pour cela que j’ai fait une série parallèle avec lui. Il finissait par devenir presque le personnage principal et c’était embêtant, car ce n’était pas le cas au début. Au début, je le répète, c’étaient les professeurs qui avaient le rôle principal.

© Le Lombard, Erroc, RodrigueAs-tu envie de faire complètement autre chose en dehors de l’humour ?
Erroc : J’ai déjà fait un peu autre chose et j’ai toujours envie de faire autre chose. C’est pour ça que j’ai fait d’autres séries humoristiques. Mes styles humoristiques sont parfois différents : des choses parfois absurdes ou plus décalées. Je fais notamment les scénarios de Cubitus, qui n’a pas de rapport avec Les profs puisqu’on est dans une espèce de folie absurde… alors que je dois coller à la réalité avec Les profs. Chez Bamboo, dans la série Grand Angle, j’ai fait un polar en deux volumes qui était une série noire. En ce moment, je suis justement en train d’en écrire un autre. J’ai donc toujours envie de faire autre chose. C’est vrai que l’humour est ce qui m’amuse le plus, ce qui fait que je ne m’ennuie pas en travaillant et que je prends du plaisir à faire ce métier.

Si je te donne le pouvoir d’être dans la tête d’un auteur, scénariste ou dessinateur, qui choisirais-tu et pour y trouver quoi ?
Erroc : Sans rentrer dans des explications longues, si je pouvais comprendre pourquoi Gotlib est génial, par exemple, ce serait lui. Je pense que c’est celui qui m’a le plus impressionné, dans le vrai sens du terme… quelque chose qui te marque à vie. Ce n’est pas parce qu’il y a une expo de lui ici (NDLR : Saint Malo avait fait une exposition de Gotlib L’effet coccinelle avant et pendant le festival), mais j’adore tout son travail. Je connais du début de Nanar jusqu’à la fin dans Fluide Glacial. Je trouve qu’il a réussi à utiliser la BD d’une façon incroyable. J’en parlais justement avec un autre auteur, pendant l’exposition : il n’y a pas beaucoup de gens qui ont suivi ce qu’il avait fait et on ne lui trouve pas vraiment de descendants. Je pense qu’il n’y a pas de place pour moi dans sa tête, mais si c’est un moyen de comprendre pourquoi il a été aussi fort, j’aimerais bien ce pouvoir.

Merci Erroc !