interview Comics

Fiona Staples & Brian K. Vaughan

Bonjour Fiona Staples et Brian K. Vaughan, pouvez-vous présenter votre voisin ?
Fiona Staples : Je vous présente l'auteur de renommée mondiale, Brian K. Vaughan. Il est connu pour son travail dans les comics, la télévision,... Actuellement, on travaille ensemble sur la série Saga, publiée en France par Urban Comics. Et nous sommes tous les deux très heureux d'être ici ! [rires]
Brian K. Vaughan : Je vous présente la dessinatrice de renommée universelle, Fiona Staples. Une artiste adulée, lauréate de nombreux prix et qui a illustré des séries comme le prochain Archie, réinventé par Mark Waid, son œuvre que je préfère, personnellement, Saga et oui, nous sommes très heureux d'être ici, à Angoulême.

Savez-vous combien d'épisodes vous souhaitez réaliser de Saga ?
Brian K. Vaughan : Ça dépend vraiment de Fiona. Dès l'instant où j'ai posé mes yeux sur le premier numéro, je me suis dit "cette série est plus la sienne que la mienne, je ne peux pas y arriver avec qui que ce soit d'autre". Quand Fiona dira qu'elle en a assez, alors ce sera terminé. Mais j'espère qu'elle ne s'en lassera pas avant longtemps parce que ça s'appelle Saga, c'est censé être une épopée !
Fiona Staples : On va travailler sur cette série pendant encore longtemps. Notre personnage principal est encore bébé, donc... On vient tout juste de commencer !

Avez vous déjà déterminé la conclusion de Saga ?
Brian K. Vaughan : J'ai une idée de ce à quoi devrait ressembler la toute dernière page. Mais je tiens à rester libre là-dessus et on pourra donc changer en cours de route. J'ai toujours eu en tête les derniers moments de certains personnages et ils n'ont pas trop changé avec le temps.

L'univers de Saga est très riche, avec plein de personnages et de lieux. Imaginez-vous la création d'une série spin-of ?
Brian K. Vaughan : Tu t'en occupes ?
Fiona Staples : Un spin-of ? Hmmm... C'est une bonne idée. J'aimerais voir d'autres dessinateurs illustrer les personnages et l'univers de Saga. On ne l'a jamais vraiment envisagé mais qui sait ?

Si ce spin-off existait, qui pourrais bien le mettre en images ?
Fiona Staples : Il y a beaucoup de dessinateurs que j'apprécie. Je suis une grande fan de Sean Murphy, qui est avec nous, ici, à Angoulême. On discutait d'ailleurs du fait qu'on aime tous les deux beaucoup ce que fait Stuart Immonen. Ramon Perez, aussi, j'aime beaucoup. Mitch Gerads, qui illustre en ce moment les aventures du Punisher, chez Marvel. Je pense qu'il pourrait livrer une chouette version de notre univers.
Brian K. Vaughan : C'est une bonne idée mais Saga parle tout particulièrement de Hazel. On ne s'intéresse pas vraiment à l'univers ou aux personnages secondaires, même si ce serait amusant. J'aime l'idée que les lecteurs puisse imaginer le reste de l'univers de Saga. Je préférerais que des fans publient illégalement des fan-fictions en ligne s'ils tiennent à lire d'autres histoires. Mais en ce qui me concerne, je vais rester sur le titre principal : pas de spin-off, pas d'annuels, rien d'autre qu'une épopée, un chapitre après l'autre.

Depuis son apparition, Saga a régulièrement figuré parmi les tops 3 des lecteurs. Quelle a été votre réaction devant ce succès ?
Brian K. Vaughan : Déjà j'aimerais savoir quels sont les deux autres ! On est "que" dans le top 3, pourquoi est-ce qu'on n'est pas numéro un ? [rires] Qu'est-ce qu'il vous faut ? [rires] Non, sérieusement, c'est très cool. On est flattés. Tu en penses quoi ?

Fiona, y a t-il une chose que tu n'aimes pas dessiner ?
Fiona Staples : Oui, mais je les dessine quand même ! [rires] Non, il n'y a rien qui m'ait posé problème dans tout ce que Brian m'a demandé de dessiner. Je crois que j'ai une grande confiance en Brian, en tant qu'auteur et j'aime énormément le récit. Mais... En fait, parfois, je suis un peu mal à l'aise quand j'ai à illustrer des scènes de sexe entre Marko et Alana parce qu'ils sont comme des membres de ma famille, maintenant. Et j'ai l'impression d'être une perverse quand je fais ça ! [rires]
Brian K. Vaughan : Je tiens tout de suite à m'excuser à l'avance auprès de toi pour le prochain script ! Désolé.
Fiona Staples : Mais ça ne me pose aucun problème. Je suis prête à tout ! [rires]
Brian K. Vaughan : Oh... [rires] On t'a enregistré en train de dire ça, maintenant !

Depuis le départ, vous avez dit que l'histoire de Marko et d'Alana allait mal se finir, est-ce que toutes les histoires d'amour doivent se terminer mal pour être aussi "puissante" émotionnellement parlant ?
Brian K. Vaughan : Oh ! Hmmm... Non, non, pas obligatoirement. Je pense que la vie est une chose très complexe et que les histoires sont toutes heureuses si on arrête de les raconter à un point précis et peut-être, aussi, que toutes les histoires sont tragiques si on les suit jusqu'à leurs conclusions. Je crois qu'il est plus important d'avoir une conclusion adéquate qu'une conclusion particulièrement heureuse ou triste. Il faut que la conclusion s'accorde au récit. Mais, donc, non : une fin heureuse n'implique pas que l'histoire n'ait pas une résonance émotionnelle. Tu préfères les fins heureuses ou les fins malheureuses ? La réponse à cette question va affecter la conclusion même de la série !
Fiona Staples : [rires] Allez, on fait une fin heureuse !
Brian K. Vaughan : On verra.

Dans le dernier album paru en France, on voit Alana prendre part à un show télévisé, Circuit. Qu'est-ce qui vous a inspiré respectivement sur les apparitions d'Alana dans ce show ?
Brian K. Vaughan : D'où viennent les costumes, par exemple...
Fiona Staples : Ils sont inspirés des tenues des super-héros des années 90. C'est l'idée derrière Circuit [NDT: 'Open circuit'/'circuit ouvert' en V.O.], une sorte de soap-opera impliquant des super-héros, combiné avec du catch mexicain [rires] et aussi de la fantasy. Mais oui, j'aime beaucoup les tenues des super-héros des nineties. C'était rigolo de pouvoir dessiner ces épaulettes géantes, ces sacoches, tout ça ! [rires] Des fringues bizarroïdes, des coiffures gigantesques... [rires]
Brian K. Vaughan : De mon côté, je me suis inspiré de mon expérience personnelle de l'époque où je travaillais pour la télévision. Combien il était surnaturel d'essayer de gagner de quoi faire vivre sa famille en allant chaque jour au bureau pour écrire les aventures de familles fictives. Donc oui, je pense que c'est venu à la fois de ma propre expérience et du fait de vouloir donner à Fiona l'occasion de s'amuser en dessinant des trucs de super-héros qui soient fun. Des choses en soi inhabituelles dans notre comics familial et ennuyeux.

Comme tu viens de le mentionner, tu as précédemment travaillé pour la télévision. Or, quand on regarde comment ça se passe dans Circuit, avec toutes ces drogues et ces transgressions... Est-ce que c'est comme ça, en vrai ?
Brian K. Vaughan : [rires] Non, c'est différent. Cela dit, je mentirais si je disais que je ne me suis pas inspiré de certains faits. Mais la télévision a aussi des côtés excitants, comme dans Circuit. Et... Bon, allez, oui. Je vais dire que je me suis assez librement inspiré de la réalité, pour Circuit.

Brian, peux-tu nous parler un peu de ton autre série, Private eye ?
Brian K. Vaughan : Oui ! Private Eye est une série que j'ai co-créée, avec Marcos Martin, et qui parle de la vie privée aux Etats-Unis, dans un futur proche. L'idée est que, dans cet avenir, le "cloud" explose et tous nos pires secrets inavoués, nos emails rageux mentionnant le patron ou encore les textos envoyés quand on est ivre, tout cela se retrouve exposé aux yeux de tous. Il en résulte que les gens sont devenus obsédés par la notion d'intimité et ne quittent plus leurs domiciles sans s'être auparavant grimés. C'est une série uniquement disponible en format digital, on n'a pas prévu d'en faire une version papier. Mais si tu vas sur panelsyndicate.com, tu peux payer le montant que tu souhaites, même zéro, et avoir accès à la totalité de l'histoire.

Tu as récemment annoncé deux nouvelles séries, chez Image Comics. We Stand on Guard et Paper Girls. Peux-tu nous en parler ?
Brian K. Vaughan : Pas trop. Elles ne vont pas sortir avant un moment. Mais pour nous, Guard parle d'un groupe de courageux combattants de la liberté canadiens qui doivent repousser une invasion américaine. Quant à Paper Girls, ça va être une série régulière autour de quatre petites livreuses de journaux âgées de douze ans. Mais ça va être plus emballant que ça n'en n'a l'air.

Brian, depuis que tu es revenu aux comics, tu as l'air inspiré comme jamais !
Brian K. Vaughan : Complètement ! Ça m'a sauvé, d'ailleurs ! Après être parti de Lost, je n'étais pas sûr de vouloir encore travailler sur des films ou des séries et je perdais un peu l'esprit. C'est là que ma femme m'a dit "Tu ferais bien de te remettre aux comics parce que je ne peux pas vivre avec toi si tu ne t'y remets pas". Le souci, c'est que je ne pensais pas pouvoir encore aimer une histoire au point de vouloir m'impliquer dans une série régulière de l'envergure de Y, le dernier homme. C'est là que j'ai vu les esquisses de Fiona et que j'ai fait "Wow !" et que, tout d'un coup, j'ai su ce que je voulais faire par la suite. Ma femme me dit toujours "tu peux travailler sur d'autres séries que Saga, mais Saga, c'est ton groupe [NDT: au sens musical]. Tu peux te permettre de faire des albums expérimentaux avec d'autres artistes mais n'oublie pas que c'est ça, ton groupe". Au final, Saga est devenu le vaisseau-mère, la matrice dont sont issus tous les autres éléments de ma vie. Je pense que j'aime les histoires un peu folles et démesurées mais uniquement si elles ont un propos relatif à nos existences, j'aime parler du monde qui nous entoure et, de préférence, sans être ennuyeux.

Brian, comment travailles-tu tes dialogues ? A haute voix ??
Brian K. Vaughan : Je pense que oui. Mais je n'irai pas jusqu'à dire que mes dialogues sont réalistes. Quand je parle, il y a des bégaiements, des hésitations tandis que mes personnages ont toujours l'air de savoir à l'avance ce qu'il faut dire. C'est mystérieux. Et je ne suis pas un de ces auteurs qui va parler des voix des personnages qu'il entend dans sa tête. C'est vraiment difficile de s’asseoir à un table et de coucher tout ça sur le papier. Mais avec Saga, ça a surtout été une question d'édition. Quand je relis les comics sur lesquels j'ai travaillé auparavant, c'est excessivement verbeux et je crois que j'ai fini par apprendre à laisser Fiona raconter et de faire en sorte que les personnages prononcent le moins de mots possibles. C'est ça, le but, je pense.

Fiona, tu t'occupes de tous les aspects visuels de Saga. Est-ce difficile de garder la cadence ?
Fiona Staples : Oui, j'ai toujours travaillé sur des planches entièrement colorisées et ce durant toute ma carrière. J'y suis habituée et j'aime avoir un contrôle total sur le visuel. Quand je lis le script, je ne visualise pas seulement les crayonnés mais la scène finalisée, c'est comme ça que ça s'anime dans ma tête. Je n'ai pas envie de faire la moitié du travail avant de le passer à quelqu'un d'autre. J'aime m'en charger d'un bout à l'autre. ça complique grandement les choses, sur une série mensuelle, mais je trouve toujours un moyen de griller certaines étapes et d'accélérer la production. [rires]

Trouvez vous le temps de lire d'autres comics et si oui, quels sont vos préférés ?
Fiona Staples : Tu commences !
Brian K. Vaughan : Oh noooon. Il y a une série, chez Image Comics, qui s'intitule Alex + Ada que j'adore, c'est l'histoire de l'amour entre un mec et son robot et qui est écrite sur un ton très différent de ce que j'ai pu lire jusqu'à maintenant. ça c'est une super série. Mais sinon, je suis surtout certains auteurs, ce que font Garth Ennis ou Alan Moore. Eux et d'autres.
Fiona Staples : J'aime moi aussi beaucoup de comics sortant actuellement chez Image. Rumble vient de sortir et c'est illustré par un de mes dessinateurs préférés, James Harren. Rat Queens va reprendre avec un nouveau dessinateur attitré, Stjepan Šejic. J'aime aussi lire Pretty Deadly et The Wicked and the Divine.

Si vous aviez le pouvoir cosmique de visiter le crâne d'un autre auteur pour en comprendre le génie, qui iriez-vous visiter ?
Brian K. Vaughan : Alan Moore est mon héros. J'aimerais qu'il soit mon papa. J'aimerais jouer au ballon avec lui, dans mon jardin, un jour. Ce serait mon rêve. Je ne pense pas que ça arrivera mais... Oui, Alan Moore est l'auteur contemporain que j'aimerais le plus rencontrer.
Fiona Staples : Je pense pouvoir en apprendre énormément auprès des frères Hernandez, c'est donc eux que je choisirais. J'ai été une grande fan de Love & Rockets. Hmmm... Difficile de choisir. J'aime beaucoup ce que fait Jaime car je crois qu'on a tous les deux été influencés par Archie. [rires]

Merci à tous les deux !



Remerciements à Louise Rossignol et Clémentine Guimontheil pour l'organisation et à Alain Delaplace pour la traduction.

Fiona Staples Brian K. Vaughan


PAR

30 janvier 2015
©Urban Comics édition 2015

Si la bande dessinée est capable de divertir ou de faire réfléchir, Fiona Staples et Brian K. Vaughan nous ont rappelé qu'elle peut aussi faire rêver. Leur série Saga s'est installée en très peu de temps comme l'une des références absolues en terme de space-fantasy. Offrant un décorum aussi complet que dépaysant, les auteurs nous conduisent en des lieux étonnants et auprès d'espèces inédites. Captivant autant qu'émouvant, aussi drôle que spectaculaire, Saga multiplie les adjectifs à chaque nouvel épisode. De passage en France pour la seconde fois en l'espace de quelques années, nous avons pu revenir avec les deux artistes sur leur série que l'on qualifiera déjà de culte...

Réalisée en lien avec les albums Saga T4, Saga T3, Saga T2, Saga T1
Lieu de l'interview : Festival d'Angoulême