Jeune artiste new yorkais, Ian Bertram s'est fait connaître en France pour ses prestations sur des séries comme Batman Eternal ou Wolverines. Son style très particulier, un trait fin et arrondi, a tout de suite su attirer l'intérêt de nombreux auteurs dont, en tête, Peter Tomasi qui l'a choisi pour illustrer son premier récit horrifique intitulé House of Penance. Alors que l'on devrait prochainement découvrir ce titre en France et que l'une de ses autres productions, Bowery Boys, débarque en début d'année chez Glénat Comics, nous avons eu le plaisir de croisir l'artiste lors de sa venue au Lille Comics Festival.
interview Comics
Ian Bertram
La traduction de cette interview a été réalisée par Alain Delaplace.
Peux-tu te présenter et nous dire comment tu as commencé à travailler dans l'industrie des comics ?
Ian Bertram : Je m'appelle Ian Bertram et j'ai débuté dans les comics... à l'âge de 19 ans, je crois bien. Mon premier salaire s'élevait à 35 dollars la page. J'étais tellement excité, alors. Ça s'intitulait The Buzz et c'était un très mauvais comics ! Je crois que ce n'est jamais sorti. Mais c'était très marrant à faire. Cory Levine m'a alors demandé si j'étais intéressé pour travailler sur un comics et on a commencé à travailler sur Bowery Boys. Après, je suppose qu'on a montré mon travail à certaines personnes puisque je me suis retrouvé à illustrer Batman. C'est Peter Tomasi qui écrivait l'histoire et il s'est avéré, à la dernière minute, que Chris Sami ne pouvait pas l'illustrer et on m'a demandé si je pouvais le faire. On m'a dit que les deadlines seraient très courtes mais je leur ai dit « Je vais le faire, pas de problème ».
Tu as un style très original, comment le décrirais-tu ?
Ian Bertram : Ouh... Je ne sais pas, c'est une bonne question mais je trouve que décrire un art visuel avec des mots a un côté, disons, grotesque.
Quelle est ton approche sur les visuels des différents titres que tu illustres ? Par exemple House of Penance est visuellement très différent de ton Batman.
Ian Bertram : House of Penance a été une expérience très cool. Les scripts de Batman étaient très classiques, pour un comic-book: chaque planche était décomposée en cases elles-même décrites de manière très précise tandis que celui de House of Penance se lisait comme un scénario. Cela revenait à adapter un livre en comics. Je n'avais pas de détails de découpage alors j'ai décomposé moi-même le script afin de pouvoir contrôler le rythme de la narration à travers les planches et les cases. C'est ça, je crois, qui est à la base de cette différence entre les deux comics. Sur House of Penance, si je le souhaitais, je pouvais illustrer une planche entière ne montrant que des feuilles [NDT: d'arbre] tandis que sur Batman, tu est quasi-obligé d'avoir une image qui attire l’œil sur chaque planche.
Quel regard portes-tu aujourd'hui sur les différents titres et, donc, univers sur lesquels tu as travaillé ? On a parlé de Bowery Boys, House of Penance et de Batman mais il y a aussi eu Wolverine and the X-Men, Sinestro, etc.
Ian Bertram : Ils sont super ! Je pense que des problèmes apparaissent plus facilement sur des titres sur lesquels j'ai travaillé plus longtemps. Je n'aime pas certains numéros de House of Penance, par exemple, parce que j'étais tout bonnement cramé quand je les ai réalisés. Mais, avec des one-shots, tu as 24 pages à réaliser, tu y passes peut-être trois semaines ou un mois et puis voilà, c'est fini. Ça devient une sorte de cliché instantané de ce que tu fais à ce moment-là. Mais bon, oui, j'aime bien.
À l'origine, Bowery Boys est sorti sous forme de webcomic. Est-ce que travailler avec un format digital t'as paru très différent du format papier ?
Ian Bertram : Le truc, avec Bowery Boys, c'est que j'ai illustré 150 pages avant même qu'on en fasse un webcomic. Je ne travaillais pas chaque semaine sur une page de webcomic, elles étaient déjà toutes réalisées. Donc, désolé, mais je ne peux pas vraiment parler d'une expérience au format digital pour Bowery Boys...
House of Penance n'est pas encore sorti en France, peux-tu néanmoins nous en dire quelques mots ?
Ian Bertram : Je suis très fier de House of Penance. Je le trouve pas mal. [rires] Ce n'est pas horriblement mauvais ! Ca parle de cette femme qui souffre d'un grand culpabilité vis-à-vis du rôle qu'elle a joué dans la prolifération des armes à feu. Et elle rencontre un homme tout aussi abîmé qu'elle et chacun tente de sauver l'autre. C'est une histoire très triste parsemée de phénomènes inattendus et soudains... J'ai peur de trop en dire donc je reste assez vague, désolé.
On connait surtout Peter Tomasi pour ses travaux sur les super-héros. Est-ce que son travail, sur un genre tout à fait différent, s'en est senti modifié, selon toi ?
Ian Bertram : Peter a travaillé pendant, quoi ? Près de trente ans, sur les séries de super-héros. Je pense que, pour lui, House of Penance a été comme une bouffée d'air frais. Je crois aussi que c'est le fait d'avoir travaillé pour Dark Horse et plus particulièrement auprès de notre éditeur, Daniel Chabon. C'est quelqu'un d'extraordinaire et il nous a laissé le champ libre pour faire ce que l'on voulait, artistiquement parlant. Donc, oui, je pense que Peter en a profité pour se lâcher un peu. Mais je ne lui en ai pas parlé, donc ce n'est que mon idée. Les comics de super-héros sont très bien, attention, mais le truc c'est qu'en grandissant, on a de plus en plus de mal à y trouver quelque chose qui nous parle au quotidien. Les comics de super-héros ont un univers ou tout est noir ou blanc, il n'y a pas les teintes de gris que l'on perçoit, avec l'âge, dans la vie. Et, encore une fois, ça ne me pose pas de problème. Mais avec House of Penance, on a injecté beaucoup de passion, d'émotions...
Des choses que tu ne peux pas prendre le temps d'inscrire dans un comics de super-héros.
Ian Bertram : Exactement. Ce n'est pas ce que les lecteurs veulent retrouver dans un comics de super-héros.
« Pourquoi est-ce qu'ils ne se tapent pas dessus, bon sang ! »
Ian Bertram : Voilà, c'est ça !
Si tu avais la possibilité, par le biais d'un génie de la lampe, de pouvoir travailler dans l'univers de ton choix et avec l'auteur de ton choix, quel univers et quel auteur choisirais-tu et pourquoi ?
Ian Bertram : Il y a beaucoup d'auteurs avec qui j'aimerais travailler... J'adorerais faire quelque chose avec Katsuhiro Otomo !
Il était en France, au dernier festival d'Angoulême.
Ian Bertram : [censuré] ! Bon, c'est vrai qu'il souhaiterait certainement faire ses propres illustrations... Sinon, Alan Moore, Grant Morrison – j'aime bien son côté bizarre. J'aimerais illustrer une sorte de trip halluciné... Par exemple, il y a Rob Williams...
Il travaille sur Unfollow.
Ian Bertram : Oui, j'aime bien ce qu'il fait. Tu vois, j'aimerais bien dessiner Judge Dredd en train de déambuler dans le désert, à la recherche d'un criminel, et il croise la route d'une sorte de vieille femme mystique qui lui fait boire un genre de thé aux effets psychédéliques... Judge Dredd en plein trip au milieu du désert. Plus c'est bizarre, plus ça me va. Je travaille actuellement sur un comics de SF qui devrait être publié dans trois mois et qui s'intitule Little Bird et c'est différent de tout ce que j'ai pu faire jusqu'à maintenant. Il y a une grosse influence de Moebius au sens de la bizarrerie SF...
Si tu avais la possibilité de visiter le crâne d'un artiste célèbre, passé ou présent, afin de comprendre son art, ses techniques ou simplement sa vision du monde, qui choisirais-tu et pourquoi ?
Ian Bertram : J'hésite entre Iggy Pop et Le Caravage. Iggy Pop est l'incarnation parfaite de la puissance à l'état pur et je me demande s'il est vraiment le maniaque frénétique qu'on connaît ou bien s'il projette délibérément cette apparence. Est-il un extra-terrestre au même titre que Jimmy Hendrix ? Et Le Caravage parce que c'était un monstre au sens propre, doublé d'un artiste prodigieux. Il était ivre les trois quarts du temps, il s'est fait expulser de certains pays pour avoir tué des gens et, à côté de ça, ce type a réalisé des œuvres magnifiques, pleines de sensibilité mais aussi très sombres. J'aimerais bien me saouler en compagnie du Caravage, ce serait génial.
Merci Ian !