Quelques mois après la sortie de La Fille Maudite du Capitaine Pirate, nous avons pu rencontrer son auteur, Jeremy A. Bastian, durant le festival d'Angoulême. Inconnu jusqu'ici en France, cet artiste américain a su proposé une aventure fantaisiste dans laquelle son trait minutieux s'épanouissait totalement. Parfois plus proche de l'illustration pure que du comics, l'approche atypique de Jeremy A. Bastian a su attirer les lecteurs puisque l'ouvrage a d'ores et déjà eu droit à des réimpressions. Un succès mérité pour un album d'une grande originalité.
interview Comics
Jeremy Bastian
Réalisée en lien avec l'album La fille maudite du capitaine pirate
Bonjour Jeremy Bastian, peux-tu te présenter et nous dire comment tu as commencé à travailler dans l'industrie des comics ?
Jeremy A. Bastian : Je m'appelle Jeremy Bastian. J'ai toujours su que je voulais travailler, dès mon enfance. Toute ma vie, je me suis concentré sur cet unique objectif parce que dessiner, c'est la seule chose que j'ai jamais su bien faire. Je vais donc qu'il fallait que j'en fasse mon métier.
Si je ne me trompes pas, tu as travaillé avec David Petersen. Peux-tu nous parler un peu de cette rencontre et de votre collaboration ?
Jeremy A. Bastian : Bien sûr. Je connaissais David avant même Légendes de la Garde. Je travaillais dans une boutique de fournitures pour le dessin et la peinture à Ypsilanti, près du campus de l'université de Michigan, et Dave allait alors à la fac de Michigan East. Il a eu son diplôme et il a décroché un job chez un antiquaire d'Ypsilanti. Et on nous a présenté l'un à l'autre à une convention comics. Et ça, c'était avant même qu'il ait fait quoi que ce soit dans les comics. Quoi qu'il en soit, on a sympathisé puis je l'ai aidé en l'incitant à aller présenter lui même son travail à une convention. Mais, pour cela, il fallait qu'on réalise nos propre comics car on ne peut pas juste aller comme ça à une convention sans rien avoir à présenter. Il faut avoir au moins un comics à succès. Il a donc écrit et illustré Légendes de la Garde, j'ai réalisé un comics intitulé Phantom Corp, une sorte de version surnaturelle de G.I. Joe, mais qui partait dans le mur. Puis on a collaboré sur un troisième comics, intitulé Ye Olde Lore Of Yorec où j'ai écrit la première histoire, une nouvelle de quatre pages sur des pirates maudits. Avec ça, on est allés faire notre première présentation à une convention. Lui, il a vendu un paquet de Légendes de la Garde. Moi, je n'ai vendu que quelques uns des miens. J'ai alors décidé de reconsidérer quel type d'histoire je voulais raconter et ça m'a amené à [NDT: en français] "La Fille Maudite du Capitaine Pirate".
Comment as-tu conçu l'histoire de La Fille Maudite du Capitaine Pirate ?
Jeremy A. Bastian : J'adorais les contes, quand j'étais petit, en particulier ceux des frères Grimm qui étaient mes préférés. J'ai toujours aimé la mythologie des contes de fées. J'ai aimé Alice au pays des merveilles et Little Nemo au pays des rêves, Dorothy d'Oz... J'ai voulu créer un personne qui soit iconique, en quelque sorte. Un personnage qui soit similaire à ceux que j'ai cités mais un peu différent. Je savais que je voulais la faire évoluer dans un monde un peu plus effrayant, un peu plus sinistre... J'avais ce dessin d'un fille pirate, dans le genre pin-up. Elle avait un bandeau sur l’œil, avec la crois dessus. Je me suis dit que c'était vraiment un look classique et que j'allais prendre cette fille, en faire une enfant, et la placer dans un monde ressemblant au pays des merveilles d'Alice, mais plus lugubre. C'est comme ça que j'ai commencé à visualiser ce qui allait devenir l'histoire même. Je me suis assis avec cette image en tête et j'ai commencé à tout mettre sur le papier. ça a pris environ trois semaines pour tout écrire. Et c'est venu naturellement. Je ne me considère pas comme étant vraiment un auteur, je suis dessinateur et le fait que tout cela me soit venu aussi facilement, c'était quelque chose de très particulier. J'adore les personnages, j'ai adoré écrire les dialogues et j'ai essayé d'y mettre le plus d'humour possible, ici et là.
Tu es surtout un gros menteur, tu m'as dit que tu ne savais pas écrire !
Jeremy A. Bastian : [rires] Je suis content que beaucoup de gens aiment mais, oui, j'ai toujours pensé que je ferais ma carrière surtout en tant que dessinateur et, à la base, l'idée était surtout de développer quelque chose que je puisse présenter aux éditeurs pour leur montrer ce dont j'étais capable. Maintenant, c'est un comics qui a trouvé sa propre voie et, aussi, je m'éclate trop à illustrer mes propres personnages pour porter un intérêt à l'illustration des personnages d'autres auteurs. Je suis content que tout se soit bien passé.
Ton style est très détaillé.
Jeremy A. Bastian : On peut dire ça.
Comment définirais-tu ton style ?
Jeremy A. Bastian : La plupart de mes influences, au niveau du dessin, viennent de la vieille école, comme Gustave Doré ou Albrecht Dürer, Arthur Rackham, Walter Crane... Un monde et une forme d'artisanat que l'on ne voit plus, aujourd'hui. Peut-être parce que beaucoup de dessinateurs travaillent en subissant la pression des deadlines exigeant d'eux qu'ils produisent leurs œuvres de manière régulière. Mais ce que j'aime avec mon comics, c'est que je peux me permettre le luxe de le faire à mon propre rythme. Je peux prendre le temps dont j'ai besoin pour obtenir le résultat voulu.
Quelles sont tes influences, au niveau des comics ?
Jeremy A. Bastian : Dans les comics... Mon dessinateur préféré de tous les temps, dans les comics, c'est Mike Mignola. Hellboy a eu une grande influence sur moi. L'atmosphère, la mythologie de l’œuvre... C'est très particulier. Je dirais aussi que Guy Davis a été une grande influence. J'ai rencontré Guy et c'est un des dessinateurs les plus gentils qui soient et il m'a beaucoup aidé dans ma carrière, avant que je ne me retrouve là où je suis aujourd'hui. Son dessin est fabuleux. Le monde qu'il a bâti pour Le Marquis, c'est ce les comics devraient être. Le temps et la dévotion qu'il y met, l'architecture, les costumes... J'ajouterais aussi Yoshitaka Amano. Il représente en quelque sorte la jonction entre les mondes de l'illustration et des comics. De Yoshitaka Amano, de Vampire Hunter D à Final Fantasy... Tous les artistes que j'ai aimés en lisant des comics, quand j'étais gosse et que je lisais New Mutants ou les X-Men. John Totleben. Ce qu'il a fait pour Swamp Thing m'a beaucoup influencé et ce très tôt dans ma vie.
Ton style est tellement détaillé que, parfois, il est difficile de voir tous les petits détails que tu glisses dans tes planches !
Jeremy A. Bastian : La clé, c'est que j'essaie de rendre chaque page relativement unique, un peu comme une œuvre d'art en elle-même. ça rend les choses plus intéressantes, pour moi. Parce que, quand j'y travaille, ça me prend peut-être une semaine ou une semaine et demie par page ce qui est très long pour une simple page. Dans une page, je place six ou huit cases et, pour rendre l'ensemble quand même attrayant et amusant à dessiner, je m'emploie à concevoir au mieux chaque page en entier plutôt que de la dessiner case par case, en les enchaînant pour raconter l'histoire. Pour le dernier numéro, sur lequel je travaille en ce moment et qui est près d'être achevé, il y a un mini-récit au cœur de l'histoire principale. Et, pour cela, je me suis inspiré des manuscrits enluminés, pour bien reproduire le même esprit dans l'incorporation du texte aux illustrations. J'essaie de faire beaucoup de choses que l'on ne voit plus guère, aujourd'hui.
Le premier numéro de La Fille Maudite du Capitaine Pirate est apparu en 2009...
Jeremy A. Bastian : Je crois que c'est ça, oui.
La série a mis longtemps à paraître ensuite...
Jeremy A. Bastian : Quand j'ai commencé à écrire le script, quand je l'ai soumis, ce devait à la base être une mini-série de six numéros. Mais comme je suis très lent, on m'a convaincu de le sortir en deux volumes. Celui qu'on a ici est le premier volume et je travaille en ce moment au deuxième volume. Ce volume recueille trois numéros et ce sera pareil pour le prochain. Je suis sur le point de terminer le premier numéro du second volume. Quand tout ça sera fini, je vais faire une pause et me retirer du monde des comics et je vais peut-être m'essayer à ouvrir une expo et, pour cela, réaliser des illustrations en grand format. J'ai plusieurs histoires dans mes cartons et Apollonia apparaît dans les idées que j'ai pu avoir quant à d'autres, futures, histoires.
Si tu avais le pouvoir cosmique de visiter le crâne d'un autre auteur pour en comprendre le génie, qui irais-tu visiter ?
Jeremy A. Bastian : Je sais exactement qui. Ce serait Albrecht Dürer. J'ai adoré ses gravures, les détails et la finesse de son anatomie... Le monde qu'il a créé est si... Je regarde ses illustrations et je sens qu'il y a tellement de choses, là-dedans. Tellement de choses à découvrir, tant de magie. C'est un illustrateur vraiment très spécial. Ce serait mon choix numéro un.
Et que souhaiterais-tu acquérir, chez lui ?
Jeremy A. Bastian : J'aimerais être son élève, étudier auprès de lui. Le voir travailler et observer tous les aspects techniques de son travail. Ce serait génial.
Merci Jeremy !
Remerciements à Alain Delaplace pour la traduction méticuleuse !.