Peu d’auteurs peuvent se vanter d’avoir cartonné dès leurs débuts. Souvent la liste est longue de projets avortés, de premiers essais incertains, de semi-ratés méconnus… Avec 3 instincts, Julien Parra frappe fort. Près de 120 pages assumées totalement, au scénario, au dessin ET à la couleur, autour de 3 histoires tourmentées, se rejoignant en toute fin. Un premier album brillant. Confessions d’un nouvel enfant gâté du 9e art…
interview Bande dessinée
Julien Parra
Bonjour Julien Parra. 3 instincts est ta première bande dessinée. Qui es-tu ?
Julien Parra : Je m’appelle Julien Parra, j’ai 28 ans (né en 1981) et je vis à Six-Fours les Plages, près de Toulon. Je dessine depuis tout petit et déjà je rêvais d’être dessinateur BD. Pour résumer mon parcours artistique, au lycée, je rentre en 2nde arts plastiques. Mais je me rends vite compte que ça n’est pas pour moi : je ne comprends pas où est l’art quand on me montre des photos de fin de repas… Donc, je reprends une filière « normale » en 1ère et je rencontre mon premier professeur de BD. Avec qui je fais de gros progrès ! Après le lycée, je présente un premier projet BD, mais sans grande conviction et je pressens que cela ne passera pas. Pendant 2 ans, j’enchaine ensuite des p’tits boulots et je reprends des études dans une école d’illustration et de graphisme à Marseille. Il s’y trouve notamment Bruno Bessadi, qui donne les quelques cours de BD que le programme propose. Je ne fais pas la 3e année, trop orientée vers la pub ; moi, je ne rêve alors que de créer mes histoires. Enfin, sorti de là, je me constitue un book et élabore le projet 3 Instincts qui trouve un éditeur immédiatement.
Quelle expérience avais-tu de la bande dessinée avant cet essai (réussi) ?
JP : Comme beaucoup, j’ai fait mes premières armes dans un fanzine. Vers l’âge de 20 ans, avec un groupe d’amis dessinateurs sur la région toulonnaise, nous avons monté le fanzine Equinoxe. Ce nom fut choisi car, à la base, nous devions faire paraître un numéro à chaque équinoxe et solstice… Bien entendu, cela ne fut jamais respecté (…). 6 numéros sont finalement sortis puis tout le monde s’est arrêté pour se consacrer à ses études.
Peux-tu raconter ta rencontre originale avec EP ?
JP : Ce fut au Salon du Livre de Paris 2007, lors de la première édition du Speedbooking. Cet évènement est organisé chaque année, maintenant. C’est un bon moyen pour de jeunes auteurs de rencontrer directement les éditeurs. On arrive avec son book et on a des entrevues express avec les éditeurs présents. J’en ai rencontré plusieurs, beaucoup étaient intéressés et voulaient en voir plus, mais Emmanuel Proust lui voulait signer tout de suite ! Quand je lui ai présenté mon book, ça s’est passé comme dans un film. Il l’a ouvert et a regardé chaque page avec attention, sans dire un mot, pendant que je lui décrivais le synopsis. Je pouvais juste voir des mouvements de sa tête en signe d’acquiescement. Puis il a refermé le book et ma sorti sa carte en me disant : « Je signe ça ! ». Je lui ai envoyé le projet par mail, pour qu’il puisse le lire à tête reposée une fois le Salon fini, puis on a signé peu de temps après.
Comment as-tu « vendu » une première BD en 4 actes, de près de 120 pages ?
JP : Je pense que le concept de recueil d’histoires qui n’ont rien en commun, mais qui se rejoignent, a séduit. Puis, dans mon book, en plus du projet, il y avait beaucoup d’autres travaux personnels qui montraient tout mon éventail technique, ce qui a dû rassurer, d’un côté. Après pour un éditeur, faire signer un jeune auteur qui fait le scénar, le dessin et la couleur, sur un projet de plus de 120 pages, c’est un pari osé. Mais là, ce n’est pas à moi qu’il faut poser la question. J’ai apparemment su être convaincant !
Quelles sont les 3 références (BD) qu’il faut lire pour comprendre un aspect essentiel de ton art ?
JP : Si je devais prendre 3 références pour que l’on comprenne bien mon art et les histoires que j’aime raconter, je prendrais plus des références cinématographiques : Old Boy (de Park Chan Wook), Nouvelle Cuisine (de Fruit Chan) et Breaking Bad (série TV de Vince Gilligan). Artistiquement, ces 3 références parmi tant d’autres m’ont énormément marqué. Puis, pour donner 3 autres références dans la BD, je choisirai 3 auteurs japonais qui ont chacun influencé mon style et ma manière de narrer : Masanori Mortia (Rookies), Takeshi Obata (Death Note), Takehiko Inoue (Vagabond). Même si ce n’est pas exactement le genre d’histoire que je recherche, leur immense talent m’inspire beaucoup.
3 instincts se distingue par son réalisme, une certaine violence (figurée et contenue) et une mécanique pas évidente. Depuis combien de temps cela mijote-t-il ? Souhaitais-tu « frapper fort » d’entrée ?
JP : Rien n’a été calculé. Je suis passionné de psychologie et d’histoires sombres… Au moment d’écrire 3 Instincts en 2006-2007, j’avais envie d’explorer la noirceur de l’âme humaine, en mettant en scène des histoires angoissantes ou bouleversantes. Après, j’ai articulé cela autour d’un concept de recueil en élaborant une sorte de puzzle où tout s’entrecoupe sans forcément avoir de liens évidents. J’aime beaucoup mettre au point ce genre de chose ! On peut dire que 3 Instincts est aussi le recueil de tout ce que j’aime, scénaristiquement.
Assumer d’emblée au scénario, au dessin et à la couleur, un tel album, est-ce plus par choix ou par défaut ?
JP : Par choix. Ce qui me plait, c’est de raconter mes histoires, plus que de dessiner. Avec la BD, on peut y arriver facilement. J’ai juste besoin de quelques feuilles et d’un crayon. Pour moi, quand je créé une œuvre, je la vois dans sa globalité et j’ai besoin de tout contrôler pour être certain que cela reste au plus proche de ce que j’ai imaginé.
Est-il faux d’affirmer qu’un auteur met (beaucoup) de soi dans une première œuvre ?
JP : Oui et non. Dans 3 instincts, je n’ai pas grand-chose à voir avec mes 3 personnages. Je ne suis pas quelqu’un de sadique ; je n’ai ni expérimenté la prostitution, ni jamais eu – et je touche du bois – de grave accident. Je dirai même que je suis à l’exact opposé : je suis un non violent et j’ai eu une enfance joyeuse (…). Ou alors, peut-être que mon côté sadique et violent ressort quand je dessine ? Vu à quel point je torture mes personnages…
Naturellement, l’album finit, tu y changerais aujourd’hui de nombreuses choses, si tu le pouvais…
JP : Oh oui !… C’est tout juste si je peux rouvrir mon album. Je vois des défauts partout. Mais il y en a un surtout qui me pique les yeux et, manque de chance, il est sur la couverture. Sauriez-vous trouver lequel ? Cherchez l’erreur…
Quelles sont tes envies à l’avenir ?
JP : Cela fait 3 ans qu’avec d’anciens membres du fanzine Equinoxe, nous animons des ateliers BD dans la région toulonnaise dans les milieux scolaires ou des médiathèques. C’est une activité qui me passionne énormément. Malheureusement, je ne peux quasiment jamais suivre les élèves que je rencontre. Mais pour la rentrée 2010, je vais pouvoir créer un petit atelier où je donnerai des cours hebdomadaires. Cela faisait longtemps que je voulais le faire et j’en ai finalement l’opportunité. L’atelier Parrallèle va donc ouvrir ses portes prochainement ! Et là, je suis en pleine élaboration du programme pédagogique (…). Sinon, j’ai plein d’autres histoires en tête. Prochainement, je vais attaquer un nouveau projet que je pense proposer aux éditeurs cet été. Cela partira dans une toute autre direction que celle de 3 Instincts. Cette fois-ci, il s’agira d’une histoire sentimentale. Un huis clos dans une chambre d’hôpital…
Quelles sont enfin les BD incontournables que tu conseillerais à tout amateur ?
JP : Je « consomme » très peu de BD. Je n’en ai même jamais lu jusqu'à mes 19 ans, alors que j’ai toujours rêvé d’être dessinateur de BD, chose très paradoxale… Même maintenant, j’en lis assez peu. Donc pour des conseils de lecture, je ne suis pas le mieux placé. Vous pouvez vous référer aux auteurs cités plus haut : des valeurs sûres !
Et si tu possédais la faculté de te téléporter dans la tête d’un autre auteur pour en comprendre le génie, chez qui élierais-tu domicile ?
JP : Je n’utiliserai pas ce pouvoir. Ce qui est important dans l’apprentissage de l’art, ce sont les étapes que l’on franchit seul, pour accéder, pas à pas, à chaque niveau de connaissance… Non, j’déconne ! Je l’utiliserai sur chaque personne dont j’aime le travail. Et elles sont nombreuses. Si j’avais ce pouvoir, je ne dessinerais plus mais passerais mon temps à admirer l’esprit créatif de tous ces génies qui me fascinent. Des gens comme Giraud, Otomo ou Guarnido, et tant d’autres auteurs de BD mais aussi plein d’illustrateurs, animateurs ou réalisateurs. Mais je ne vais pas commencer à tous les citer, ça serait trop long (…).
Merci Julien ! Et donc à très bientôt, la larme à l’œil, au sortir d’un hôpital !
Nota : Approfondissez la chose en visitant le site de Julien : www.julien-parra.com