Depuis quelques années, le nom de Pere Pérez se fait de plus en plus remarquer sur les différents comics de DC Comics et de Valiant Comics. Capable de respecter ses délais et disposant d'un trait fin et soigné, l'artiste espagnol a déjà croqué des personnages de renom comme Batgirl ou Batman mais également des trublions du type Archer & Armstrong. Invité par le site Comixity lors de l'édition 2014 du Lille Comics Festival, nous avons eu le plaisir de converser avec le dessinateur espagnol dont, à coup sûr, nous ne manquerons pas de parler dans les années à venir...
interview Comics
Pere Pérez
Bonjour Pere Pérez, peux-tu te présenter ?Pere Pérez : Je m'appelle Pere Pérez et je suis un dessinateur espagnol. Je travaille pour des éditeurs américains : Marvel, DC et Valiant et mes comics le plus connus sont probablement Batgirl et Archer & Armstrong. Je travaille aussi sur plusieurs titres liés à Batman ou encore dans les pages d'Action Comics et aussi, du côté de Valiant, sur Harbinger et sur Quantum & Woody, qui est ma dernière série en date.
Quelles sont tes influences ?
Pere Pérez : Il y en a beaucoup et j'ai peur d'en oublier parmi les plus importantes. Pour ce qui est de la narration... Je ne sais pas... Carlos Pacheco, Bryan Hitch, Katsuhiro Otomo... Du côté graphique, je dirais Adam Hughes... Je lisais aussi beaucoup Astérix quand j'étais petit alors, je ne sais pas. Je pense que ça dépend beaucoup de l'époque de ma vie dont on parle. Certains dessinateurs vous influencent plus à un instant donné. Ceux que j'ai cités étaient parmi mes premières influences donc je ne pense pas qu'on puisse vraiment voir leur impact sur ce que je fais aujourd'hui. Mais chaque semaine, chaque mois, quelque chose de nouveau vient m'inspirer et j'essaie donc de piocher de droite et de gauche.
Pourquoi as-tu choisi le marché américain ?
Pere Pérez : Quand j'ai commencé, j'avais lu beaucoup plus de comics américains que de bandes dessinées françaises, mais je faisais mon possible pour réussir à être publié, où que ce soit. Je suis venu plusieurs fois au festival d’Angoulême pour montrer ce que je faisais aux éditeurs français. Malheureusement, ils trouvaient que mon travail faisait trop américain : j'emploie moins de cases, etc. Et donc j'en étais arrivé à penser que je n'avais ma place nulle part dans l'édition française, même si on m'avait parlé ici et là de pouvoir illustrer un album, chose que je faisait déjà en Espagne, de temps à autre. Mais je suis quand même prêt à abandonner la liberté créative dont je dispose actuellement et à me plier à ce que demanderait un éditeur. Je suis très à l'aise avec les comic-books car ça correspond à ma façon naturelle de m'exprimer tandis que si je devait travailler sur une bande-dessinée et que je devais par exemple ajouter plus de cases, changer ma narration, je ne suis pas sûr que ça pourrait marcher. Mais si un éditeur français souhaitait publier mes dessins en me laissant travailler comme à mon habitude, ce serait avec plaisir.
Comment es-tu arrivé sur Batgirl ?
Pere Pérez : Au début, ça s'est passé comme une grande partie de ma carrière au Etats-Unis. Le dessinateur titulaire n'arrivait pas à respecter les délais, peut-être à cause de l'auteur qui aurait eu du retard ou bien s'il ne pouvait pas tenir le rythme ou s'il avait un autre travail à côté, quelque chose comme ça. J'ai donc été contacté pour terminer certaines de ces pages dans quelques numéros. Puis, à un moment, le dessinateur a quitté la série et, évidemment, comme j'avais déjà réalisé pas mal de pages sur cette série, on m'a choisi pour illustrer la suite. Dès le départ, en commençant à travailler sur les premières planches, je me suis sentis déjà très à l'aise sur cette série alors quand l'occasion s'est présentée de devenir le nouveau dessinateur officiel, il n'y pas eu besoin de me le demander deux fois : j'ai accepté tout de suite. Là où je n'ai pas une chance c'est quand, le mois suivant, le jour même où mon nouveau poste était officialisé, ils ont annoncé la Renaissance DC et ont changé l'ensemble de l'équipe artistique. Donc ça a été l'un de mes runs les plus brefs mais aussi l'un des plus amusants.
Tu as ensuite débarqué sur Archer & Armstrong...
Pere Pérez : Ça a commencé avec Batgirl. Clayton Henry, qui était le dessinateur attitré, a rencontré des difficultés et j'ai fini par faire peut-être une douzaine de pages sur le premier album. Ils m'on par la suite rappelé pour le troisième arc et j'ai fini par en faire de plus en plus et je crois qu'à l'heure actuelle, je suis le dessinateur qui a le plus travaillé sur la série. J'ai toujours dit que c'est avec les personnages que je connais le moins que je m'amuse le plus. On peut alors développer son propre point de vue ce qui apporte de la fraîcheur à l'ensemble. On tombe en quelque sorte amoureux de ces personnages à mesure que l'on travaille avec tandis que quand on travaille avec des personnages qui sont déjà établis, on ne parvient jamais à être aussi bon. Quand je travaille sur Batman, par exemple, je fait toujours de mon mieux car j'ai en tête les noms des grands illustrateurs qui m'ont précédé comme Neal Adams et là, quelque soit le script que l'on m'ait passé, il y a peu de chances que ce script corresponde à l'idée de Batman que j'ai en tête. Avec de nouveaux personnages, c'est toujours plus intéressant dans le sens où je peux me les approprier.
Comment s'est déroulé ta collaboration avec Fred Van Lente ?
Pere Pérez : Au début, il me donnait simplement les scripts et je les illustrait ! En plus, on avait des délais de production très courts. Je me contentais de lui poser des questions quand quelque chose n'était pas clair je ne comprenais pas quelque chose. Mais à mesure de notre collaboration, on s'est rencontrés et il a commencé à me donner de plus en plus de libertés sur certains aspects des illustrations, notamment les scènes impliquant des arts martiaux. Il savait que j'en pratiquais et il a donc commencé à me laisser des notes du genre "Fais ce que tu veux ici, voilà ce qui se produit avant et ce qui se produit après, je te laisse te débrouiller entre les deux" ! C'est super car c'est un des types de scènes que je préfère. ça a donc été une collaboration assez unique car je ne pourrais pas réaliser ce genre de comics sans Fred et, inversement, Fred ne pourrait pas non plus sans moi. C'est devenu une sorte de symbiose, plus que ça ne l'était au départ.
Voudrais-tu poursuivre ta collaboration avec Fred Van Lente, du coup ?
Pere Pérez : Bien sûr, j'espère pouvoir continuer de collaborer avec Fred sur Archer & Armstrong aussi longtemps qu'on me le permettra.
Quantum & Woody est une série encore inédite en France, peux-tu nous la présenter ?
Pere Pérez : Pour moi, les relations entre les personnages sont... Si tu as vu la série How I Met Your Mother, tu connais le personnage de Barney et ce personnage, en somme, c'est Woody et son frère [NDT: James Stinson], c'est Quantum. Ce sont deux personnages, l'un blanc, l'autre noir, qui ont le même père et, dans un premier temps, ça choque. Quantum, lui, cherche à faire le bien. C'est un fan de super-héros et donc, quand les deux obtiennent des super-pouvoirs, il prend la chose au sérieux et se fabrique un costume. De l'autre côté, on a Woody qui est, pour résumer, un trou du cul [rires] Il ne s'intéresse à rien sorti des femmes, de l'argent, etc. Là où c'est drôle c'est que, pour survivre, à cause de la nature de leurs pouvoirs, ils doivent entrechoquer leurs bracelets une fois par jour. Ils sont donc condamnés à rester ensemble. La plupart du temps, ils ne peuvent pas se supporter l'un l'autre mais ils doivent rester unis pour survivre. C'est un comics dingue et très drôle. Archer & Armstrong représente l'équilibre parfait entre une intrigue élaborée, de l'action et de l'idiotie, un mélange parfait selon moi. Mais dans Quantum et Woody, c'est encore plus idiot [rires] J'adore aussi mais c'est poussé un cran plus loin que dans Archer & Armstrong. La plupart du temps, dès qu'on a la possibilité d'avoir un bonne scène d'action, les personnages font un truc stupide qui la fiche en l'air. C'est un comics très, très drôle.
Quels sont tes prochains projets ?
Pere Pérez : En ce moment, je travaille avec Valiant sur l'arc Unity et ce sera beaucoup plus sérieux que ce que j'ai fait pour eux ces derniers temps. J'en suis à la moitié de mon premier numéro et c'est un comics de super-héros assez unique. C'est l'histoire d'une bande de super-héros mais racontée d'une manière originale. On y retrouve tous les ingrédients du genre comme des super-héros travaillant ensemble, des pouvoirs assez basiques aussi on retrouve par exemple le personnage doté d'une super-force, le Batman du groupe,... On retrouve les clichés habituels mais le point de vue adopté est innovateur. Si tu lis le premier numéro, celui que je suis en train d'illustrer et le seul dont je connaisse le script, tu serais surpris de l'approche de certains éléments que l'on a déjà vus des centaines de fois dans d'autres histoires de super-héros.
As-tu envie de passer à l'écriture ?
Pere Pérez : Oui, c'est d'ailleurs ce que je fais. J'ai écrit plusieurs livres pour le marché espagnol et là, je viens d'écrire un autre livre qui, à la base, devait être financé via une campagne sur le web. La campagne a échoué mais le livre s'est quand même fait. Je suis à la fois auteur et dessinateur et j'espère bientôt réussir à obtenir sa publication, probablement en Espagne. On a aussi une autre surprise qui est sur le point de sortir. Le dessinateur est Victor Santos. Il y a longtemps de ça, on avait sorti des livres traitant du cyclisme, en Espagne. Là, il écrivait tandis que je dessinais et là, on a échangé les rôles et on va rendre le livre disponible en ligne, gratuitement. Alors à tous ceux que ça intéresse je dis restez vigilants car, a priori dès janvier 2015, on va commencer à le mettre en ligne à un rythme hebdomadaire et ça s'intitulera The Wolf Over A Sea of Beasts [NDT: le loup au-dessus de la mer de bêtes]. C'est une aventure de vikings épique et vous allez l'adorer.
Comment fais-tu pour conserver un tel rythme de production ?
Pere Pérez : Le fait est que j'ai la réputation de dessiner très vite et je m'efforce de rester amoureux de mon métier. Pour ça, dès que mon emploi officiel de mercenaire me laisse du temps libre, je me laisse aller et je fais tout ce que j'ai envie de faire dans l'instant. Par exemple, quand un script que j'attends prend du retard, au lieu de regarder la télé, je vais écrire un peu. Je n'ai pas d'arriver à 70 ans, d'avoir des regrets et de me dire que j'aurais du en faire plus alors j'essaie de trouver un équilibre. J'adore jouer les mercenaires sur les comics - je le dis fièrement, pas péjorativement -, j'aime illustrer ce que d'autres ont écrit mais j'aime aussi faire mes propres trucs. Donc ce que je fais pour Valiant ou DC, c'est mon boulot et le reste, ce sont mes hobbies. Même si je ne réussis à trouver qu'une dizaine de minutes pour moi, dans la journée, j'en profite pour écrire une ou deux pages, faire un croquis, quelque chose comme ça. ça en vaut la peine. Crois-le bien, je ne passe pas mes journées à travailler comme un dingue, soudé à ma planche à dessin. Il me reste toujours plein de temps à occuper et à gaspiller [rires].
Si tu avais le pouvoir cosmique de visiter le crâne d'un autre auteur pour en comprendre son génie. Qui choisirais-tu ?
Pere Pérez : Ouf, elle est dure, celle-là ! Je pense que ce serait probablement Léonard de Vinci. Le bordel qui devait se trouver dans sa tête ! Ce n'est pas seulement vis-à-vis du dessin. Dans le domaine artistique, il faut trouver sa propre expression, on ne peut pas se contenter d'imiter ce qui a marché pour d'autres, ça ne fonctionnera peut-être pas pour toi, c'est très personnel. C'est pour ça que je n'ai jamais essayé d'imiter le style d'un autre illustrateur, je fais juste comme je le sens. Si ce n'est pas bon, ce sera ma faute mais si ça l'est, ce sera positif. Avec Léonard, le truc, c'est que c'était un génie dans tous les domaines qu'il abordait. Ce serait donc intéressant de voir comment il pensait les choses qu'il s'agisse de la philosophie, de l'art, des machines, de la physique, des mathématiques, etc.
Muchas gracias Pere !
Remerciements à Florent Degletagne et Comixity pour l'organisation de cette rencontre, à Alain Delaplace pour la traduction.