Jean-David Morvan nous avait prévenu qu'il ressemblait à son personnage, Nävis... Nous n'avons pas été déçu. Philippe Buchet est le dessinateur de la série Sillage, mais aussi l'instigateur (avec JDM) de la série Nävis, des Chroniques de Sillage et d'un superbe "Art-of", Blockbuster, rempli d'illustrations et de croquis inédits.
Cette interview a été réalisée lors du dernier festival Delcourt à Paris Bercy.
interview Bande dessinée
Philippe Buchet
Réalisée en lien avec l'album Art-of T4
Bonjour Philippe ! Pour faire les présentations, est-ce que tu pourrais nous résumer ton parcours ?
Philippe Buchet : Et bien, j’ai arrêté l’école à 18 ans, avant d’avoir le bac, dès que j’ai été majeur en fait. J’ai ensuite fait plein de petits boulots, tels que serveur par exemple. Et puis comme on est toujours poursuivi par son destin - je dessinais même dans les restaurants – des amis m’ont aiguillé vers un casting pour un studio qui cherchait des gens pour faire du design de science fiction. Ça a marché et j’ai bossé 7 mois sur Paris pour un projet de film qui n’a jamais vu le jour. Mais bon, c’était intéressant de travailler dans un studio. Quand ça s’est arrêté, j’ai touché quelque chose qui ressemblait à des indemnités d’intermittent du spectacle, mais ça n’a duré qu’un temps. Je ne me sentais pas à l’aise dans le milieu, il fallait en faire des tonnes pour s’en sortir. Je suis donc retourné à Reims, d’où je suis originaire. J’y ai trouvé du boulot dans une société qui faisait des BD de formation dans les usines et les entreprises. J’ai fait des trucs un peu gore en freelance, très régulièrement, en noir et blanc avec juste une couleur : le rouge (sang). Puis j’ai trouvé une autre agence, qui faisait le même type de produit, mais dans des domaines plus vastes. Il fallait notamment aussi faire des petits dessins animés (enfin… plutôt des plans fixes avec deux trois animations très simples). J’y suis entré comme vacataire, puis comme salarié et j’y suis resté 12 ans ! C’était un bon apprentissage. En parallèle, j’avais toujours le projet de faire une BD, mais je ne me sentais pas encore prêt. Par le biais de Sylvain Savoia, qui travaillait dans la même agence que moi comme vacataire, j’ai rencontré Jean-David Morvan qui m’a convaincu du contraire. On a sympathisé, il m’a proposé de travailler avec Sylvain sur Nomad, pour ma première incursion dans la BD. Je manquais un peu d’expérience et j’avais peur de me planter. Mais Sylvain avait déjà fait un premier album et puis Jean-David avait une grande maîtrise de la narration, même dessinée, ce qui m’a beaucoup aidé. J’ai donc bossé sur les 2 premiers tomes sur le design, les scènes avec les machines, puis le découpage. Puis Sylvain a repris la série en entier. J’ai alors fait avec Jean-David des projets pour Glénat qui nous proposait tout les jours de signer un contrat, mais toujours demain. Au bout d’un an – j’avais démissionné entre temps - Jean David Morvan a décidé de présenter nos projets ailleurs : c’était Al’Togo, qui a fini par sortir chez Dargaud avec Sylvain Savoia au dessin, et une autre série appelée 7 secondes, avec Gérard Parel, qui est sorti chez Delcourt. Jean David ne jette jamais rien ! Puis Delcourt nous a demandé de chercher quelque chose de plus science-fiction. Du coup, on a écrit les premières bases de Sillage, et on a signé immédiatement.
Comment expliques tu le succès de cette série ? Parce que c’est de la folie ! Ca fait des 4 par 3 dans le métro parisien !
Philippe Buchet : Je ne me l’explique pas. Mais le battage marketing autour de la série n’a pas provoqué son succès, c’est même le contraire. Parce qu’elle marchait bien, la série a pu financer sa propre promo. C’est injuste d’ailleurs, parce que ça veut dire que plus une BD marche, plus elle a de chances de davantage marcher. Et plus elle est inconnue, moins c‘est facile pour elle. Je pense que Sillage est tout simplement arrivé au bon moment. Il y a 8 ans, le marché n’était pas encore saturé, les libraires avaient encore des emplacements pour présenter des nouveautés plus longtemps qu’une semaine. Il n’y avait pas trop de space opéra (à part Aquablue et Valerian). La grande majorité de la SF était cyberpunk (mondes virtuels, etc). Moi j’avais vraiment envie de faire de la SF avec des monstres partout, des planètes à gogo. Je voulais retrouver ce côté épique. Et puis la création du personnage de Nävis a rendu la série très emblématique et en a fait le succès. C’est d’ailleurs finalement Jean-David Morvan qui a voulu en faire une fille, ce qui devait rendre la narration et l’histoire plus fraîche, parce que le personnage de départ de Sillage était un gars gothique avec de grands cheveux. Dès qu’il m’a proposé l’idée d’une héroïne, elle était là. Mon premier dessin était le bon, du premier coup !
Jean-David Morvan nous a dit que tu avais beaucoup de facilité à dessiner Nävis parce que Nävis, c’est toi. Mais maintenant qu’on te voit, on se pose des questions…
Philippe Buchet : Je suis désolé de vous décevoir :-) En fait c’est simple : pour animer un personnage féminin, soit tu as ta copine qui te sert de modèle (et il y a un peu de ça dans Nävis), soit tu es ton propre modèle. Moi, je fais des bouilles dans le miroir, des expressions, des grimaces, et je reproduis tout ça pour elle. Du coup, dans les attitudes, il y a un peu de moi, c’est sûr. Et puis il y a toujours une implication d’un auteur dans son personnage, surtout quand il est central dans ce qu’il fait, comme Nävis pour moi. Et puis pour dessiner Bobo, je m’inspire de Jean-David de temps en temps…
Pourquoi n’as-tu pas dessiné la série Nävis ?
Philippe Buchet : Parce que Nävis [NDLR : la série avec la héroïne de Sillage, jeune] est né du dessin de José-Luis Muñuera. On s’est dit un jour qu’on allait faire une petite histoire pour Pavillon Rouge, feu le magazine des éditions Delcourt. José-Luis Muñuera a fait 8 pages et j’ai trouvé ça super. Il l’a dessiné comme il l’entendait. Delcourt pensait que ça changeait trop de style, qu’il aurait fallu un truc un peu plus réaliste. Mais c’était son style et c’était parfait comme ça.
Et d’ailleurs ça a plu, puisque Nävis a été élu meilleur album par les 8-12 ans !
Philippe Buchet : Oui, les lecteurs de Mickey magazine l’ont élu meilleur album, alors que justement, le magazine, qui devait prépublier Sillage, n’en avait finalement pas voulu ! Au début, ils voulaient prépublier le tome 7, mais je les ai prévenu que c’était très violent. Ils voulaient alors vieillir leur lectorat... Mais ils ont finalement laissé tomber l’idée. Et voilà que leurs lecteurs votent pour Nävis ! Personnellement, je trouve que José-Luis a parfaitement trouvé ses marques dans la série, entre l’humour et un côté dynamique et frais. Quant aux Chroniques de Sillage, on avait contacté une cinquantaine de dessinateurs en se disant qu’il y en aurait peut-être un ou deux pour dire oui. Et ils ont tous dit oui ! On est donc obligé de faire pleins d’albums !
Mais Les chroniques... marchent quand même moins bien que Sillage ?
Philippe Buchet : Oui, de même que Nävis marche moins bien que Sillage. C’est normal, ce n’est que le tome 2, et Sillage en est au tome 8. Pour Les chroniques..., je pense que ces albums vont plutôt avoir un intérêt sur le long terme. Le prochain par exemple est une histoire complète, découpé en 5 récits, avec 5 dessinateurs différents.
Si tu étais un bédien, quelles seraient les BD que tu aimerais faire découvrir aux terriens ?
Philippe Buchet : Euh... J’en lis tellement, c’est difficile à dire. En ce moment, je suis plutôt manga. Je lis notamment Say hello to Black Jack. C’est un drame dans le milieu hospitalier japonais. Ça donne une bonne idée du souk que ça peut être.
Tu te fais conseiller par Jean David Morvan pour les mangas ?
Philippe Buchet : Plus ou moins, ça dépend. Il y a un tas énorme près de son bureau et je me sers. Sinon, j’aime bien les Larcenet. Notamment les trucs d’humour très con qu’il fait comme Nic Oumouk. Il ne prend pas de pincettes avec son héros, j’ai vraiment trouvé ça génial, et mes enfants aussi.
Si tu avais le pouvoir cosmique de te téléporter dans le crâne d'un autre auteur de BD, chez qui aurais-tu élu domicile ?
Philippe Buchet : C’est difficile, parce que quand on est auteur, on n’a pas envie de ressembler à un autre. On a envie d’avoir son style propre. Je préfère rester dans mon cerveau, au moins, je sais a quoi m’attendre ! Mais il y a pleins d’auteurs que j’adore : Magnolia, Risso, Adam Hugues, Frank Miller, etc. Toutes les générations quoi !
Merci Nävis !