Pokémon est une franchise de Nintendo connue dans le monde entier. Les jeux vidéo ont dépassé les 250 millions d’exemplaires vendus depuis la première version du titre en 1996, et le concept a également été décliné sur de nombreux autres supports : jeu de cartes, merchandising, séries et films animés, et bien évidemment en manga. Pourtant, les diverses versions dessinées n’ont pas connu en France le succès escompté... jusqu’à ce qu’arrive Pokémon Noir & Blanc, l’arc narratif de la 5ème génération de Pokémon, issu du jeu éponyme. Fort de son succès, l’éditeur français Kurokawa a fait venir au salon du livre et de la presse jeunesse de Montreuil les deux mangakas qui s’occupent de cette saga depuis plus de 15 ans. Entre deux rencontres avec leurs fans, enfants et adultes, ces sympathiques auteurs ont bien voulu répondre à toutes nos questions.
interview Manga
Pokémon (H. Kusaka - S. Yamamoto)
Réalisée en lien avec les albums Pokémon noir et blanc – 1e édition, T6, Pokémon noir et blanc – 1e édition, T5, Pokémon noir et blanc – 1e édition, T4, Pokémon noir et blanc – 1e édition, T3, Pokémon noir et blanc – 1e édition, T2, Pokémon noir et blanc – 1e édition, T1
Pouvez-vous nous expliquer comment vous en êtes venus à travailler sur les projets Pokémon de Nintendo ?
Hidenori Kusaka (scénariste) : En 1996, le premier jeu Pokémon est sorti au Japon et il a connu un très grand succès. A cette époque-là, je travaillais dans un magazine pour la jeunesse où j’étais responsable des articles. J’étais aussi rédacteur, je m’occupais d’inventer les cadeaux qu’on offrait avec le magazine et je faisais également le consultant pour des fabricants de jouets. Comme Pokémon commençait à bien fonctionner auprès des enfants, on a décidé qu’on aurait une adaptation en manga l’année suivante dans notre magazine. Et donc, comme j’étais le plus instruit en Pokémon de la rédaction et qu’on me disait en général que j’avais de bonnes idées, on m’a confié la réalisation du scénario du futur manga. J’avais toujours rêvé de travailler dans le manga, alors j’étais très content d’accepter leur offre.
Satoshi Yamamoto (dessinateur) : Moi, j’avais un manga qui était prépublié dans le Shônen Sunday et, une fois qu’il s’est terminé, il a fallu que je trouve une nouvelle série à publier. A l’époque, le manga Pocket Monster Special était réalisé par monsieur Kusaka et par une artiste qui s’appelait Mato. Mais Mato est tombée très malade et il leur fallait donc un nouveau dessinateur. Un éditeur m’a donc mis sur le coup. Il faut savoir qu’il y avait une petite compétition pour savoir qui allait être le prochain dessinateur du manga Pokémon et j’y ai participé. Bien que mon style de dessin soit différent de celui de tous les autres, je ne sais pas pourquoi mais c’est moi qui ai gagné. Et cela fait maintenant 12 ans que je dessine ce manga.
Pokémon est un véritable succès planétaire sur tous les supports, que ce soit le manga, le dessin animé, les cartes à jouer ou les jeux vidéo. Est-ce que cela constitue une pression supplémentaire pour vous ?
Hidenori Kusaka : Oui, bien sûr. Puisque c’est populaire, cela veut dire qu’il y a énormément de gens qui regardent notre travail, et donc cela signifie aussi qu’il y a beaucoup de personnes qui vont être amenées à le critiquer ou le juger. Cela n’est pas forcément facile de travailler en se disant que tout ce monde vous regarde. Cependant, il faut savoir que ce n’est pas parce qu’il y a un truc sur lequel on écrit Pokémon que cela va se vendre obligatoirement. Nous, on évite de se dire que les gens vont être content simplement car cela s’appelle Pokémon. On essaye au contraire d’oublier que cela s’appelle Pokémon pour réaliser une histoire suffisamment originale et prenante pour que les gens prennent plaisir à la lire. On peut dire que cela nous met la pression mais, en même temps, c’est aussi un peu libérateur.
Quelle marge de manœuvre vous laisse Nintendo au niveau du scénario et au niveau du dessin ? Avez-vous beaucoup de contraintes ou êtes-vous assez libres ?
Hidenori Kusaka : Au Japon, il existe une société qui protège les intérêts de Pokémon et qui s’appelle la Pokémon Company. Il s’agit d’une société qui surveille tout ce qui a trait aux activités relevant de Pokémon. C’est la première fois au Japon qu’une société reprend ainsi une structure de fonctionnement à la Disney. Tout ce qu’ils vérifient peut ensuite être diffusé dans le monde entier. Bien entendu, s’ils ont des requêtes à faire sur le contenu de nos œuvres, nous les écoutons. En général, ce qu’ils surveillent surtout, c’est la manière dont les personnages parlent, le langage qu’ils emploient, ainsi que les détails physiques des Pokémon, comme par exemple le nombre de plumes, ce genre de choses... Bien entendu, il y a pas mal de petites règles un peu compliquées mais, d’un autre côté, on a quand même pas mal de liberté et finalement on s’équilibre bien. Nous faisons en sorte d’utiliser des choses qui n’existent pas dans le jeu vidéo et de les mettre dans le manga pour l’enrichir : on a le droit de faire cela et c’est ce qui rend le manga intéressant. Bien entendu, ces types de changements, je prends bien le temps de les expliquer à la Pokémon Company et de les justifier. Cette partie du travail est aussi très intéressante.
Comment se passe la collaboration entre vous ?
Hidenori Kusaka : D’abord je joue au jeu vidéo. Une fois que j’ai joué et que je sais de quoi je veux parler, j’écris un story-board que je donne ensuite à monsieur Yamamoto. Cela est la base de notre travail. Avec mon story-board et celui que monsieur Yamamoto aura refait avec ses modifications, on va prendre rendez-vous à trois avec notre responsable éditorial pour en discuter. En fait, on ne se rencontre qu’une ou deux fois par mois. Une fois que ce rendez-vous est terminé, monsieur Yamamoto va passer au dessin définitif tandis que moi je vais passer au chapitre suivant.
Satoshi Yamamoto : Une fois que j’ai fait mon story-board et qu’il a été validé, je vais commencer à faire des croquis et décider du découpage définitif des cases. Ensuite, une fois que la page est finie d’être dessinée, je l’encre, puis je scanne le dessin encré pour le mettre sur l’ordinateur. Là, avec mon assistante nous allons rajouter les trames, etc. Une fois terminé, on envoie ces pages-là à l’imprimeur.
Les trois étapes de construction d'une planche
Pour la première fois avec un manga, les sorties des volumes reliés s’effectuent d’abord en France : quel est votre sentiment par rapport à cela ?
Hidenori Kusaka : Cela nous fait très bizarre, d’autant plus que ce n’est pas seulement la première fois pour monsieur Yamamoto et moi-même, mais aussi pour la société d’édition Shogakugan. D’habitude, ce n’est qu’une fois sortis en volumes reliés au Japon que les mangas sortent en France. Et là, au Japon, les chapitres de ces mangas ont été publiés dans des magazines, mais jamais en volumes reliés. J’espère que les fans français sont très contents de savoir cela. Les fans japonais, eux, sont très fâchés.
Satoshi Yamamoto : On a été invités en France pour faire ces dédicaces, et aujourd’hui encore je me suis fait engueuler sur Twitter par un lecteur japonais qui disait « mais pourquoi vous ne faites pas ça au Japon ? ».
Les auteurs en dédicace au salon du livre jeunesse
De par ce fonctionnement des sorties en avant-première en France, les couvertures sont colorisées par l’éditeur français. Que pensez-vous du travail réalisé ? Etes-vous content que ce soit quelqu’un d’autre que vous qui colorise ces illustrations ?
Satoshi Yamamoto : L’illustration du premier tome, c’est en fait mon assistante qui l’a colorisée. Le designer de Kurokawa, l’éditeur français, qui a colorisé les couvertures suivantes, a parfaitement respecté le style de colorisation que nous avons employé sur le premier tome. Bien que le manga sorte aussi aux Etats-Unis avant le Japon et qu’ils aient leurs propres couvertures, moi je préfère la façon dont la version française est colorisée. A chaque fois qu’il y a un nouveau tome, j’attends avec impatience de voir l’illustration colorisée. Quand j’ai reçu celle du tome 5 il y a quelques temps pour validation, elle était tellement belle que cela m’a surpris et j’en ai fait le fond d’écran de mon ordinateur. Je me dis que si c’était moi qui colorisais cette illustration, ce serait forcément moins bien donc je ne le ferai jamais.
L’ex-libris disponible pour les dédicaces en France
Reprenez-vous ces couvertures françaises pour les versions japonaises ?
Satoshi Yamamoto : Malheureusement, ma fierté d’auteur fait que je ne peux pas les réutiliser.
Hidenori Kusaka : Je me dis que, du coup, les lecteurs français auront encore plus l’impression d’être favorisés puisqu’ils ont des couvertures rien qu’à eux. Et on pourra dire aux fans japonais d’acheter les 2 versions ! (rires)
S’ils existaient dans le monde réel, quel Pokémon souhaiteriez-vous dresser, et pourquoi ?
Hidenori Kusaka : Celui que j’aimerais bien avoir à mes côtés, c’est Evoli, car il serait relaxant et agréable au quotidien. Mais je n’ai pas tellement envie de l’élever, j’ai seulement envie de caresser son pelage touffu.
Satoshi Yamamoto : Moi, j’aimerais bien dormir sur le ventre de Ronflex...
Au salon du livre, les auteurs ont donné un cours de dessin aux enfants
Hidenori Kusaka : Dans tous les types de médias existants, celui que je préfère, c’est le manga. Et dans tous les mangas qui existent, mon préféré est évidemment le mien. Quant à la période du manga que je préfère, c’est celle dans laquelle je suis le plus investi en ce moment, c'est-à-dire Pokémon Noir et Blanc.
Satoshi Yamamoto : Moi, je me dis que comme Pokémon est un jeu à la base, c’est le jeu qui est le plus évolué. Donc, comme il a beaucoup de nouveautés et qu’il est vraiment très actuel, les versions que je préfère sont Pokémon Noir 2 et Pokémon Blanc 2.
Maintenant que vous avez terminé la plupart des séances de dédicaces en France, que pensez-vous du public français, notamment du fait qu’il y a beaucoup d’adultes ?
Hidenori Kusaka : Nous étions très surpris. La première conférence que l’on a donnée, c’était dans une librairie à Strasbourg et je pensais qu’il y aurait beaucoup d’enfants. Mais en fait il y avait non seulement beaucoup d’adultes, mais surtout beaucoup de gens qui étaient très impliqués dans le contenu de l’œuvre. On a eu beaucoup de questions très précises. On en discutait après avec monsieur Yamamoto et on se disait que les fans français sont un peu comme les fans japonais en fait. On a beau ne pas parler leur langue, on se rend compte que les demandes sont les mêmes, l’ambiance aussi, la manière d’apprécier l’œuvre également... C’est la première fois qu’on venait en France, et avoir ressenti cela est vraiment une grande surprise et une grande expérience pour nous.
File d'attente à la Fnac des Halles : presque aucun enfant
Divers cadeaux que les fans français leur ont offert
A propos des dessins, certains sont même tirés d’une série qui n’a pas été éditée en France. Les gens qui nous en parlaient nous ont dit qu’ils adoraient ces personnages. Quand on leur a demandé comment ils avaient lu la série, certains nous ont dit qu’ils avaient acheté la version japonaise, d’autres la version américaine. Ils avaient l’air d’être vraiment très motivés. C’est un manga qui n’est pas sorti en France, et pourtant quelqu’un nous a même dit que c’était son manga préféré entre toutes les versions ! Ca fait vraiment plaisir. Donc j’aimerais bien qu’un jour Kurokawa sorte aussi les anciennes séries en France.
Hidenori Kusaka : Mais bon, depuis qu’on est ici, au salon du livre jeunesse de Montreuil, il y a vraiment une majorité d’enfants. La passion des enfants, et leur joie de voir leurs personnages préférés ressemblent à ce qu’on voit au Japon. Mais contrairement aux petits japonais, les enfants français sont un peu plus déchaînés. Il y a même un enfant qui est venu me défier en me disant : « prouvez-nous que vous avez vraiment fini le jeu !».
Un des rares enfants de la dédicaces à la Fnac
Hidenori Kusaka : Je suis très content d’avoir pu venir en France et d’avoir rencontré le public français. Cela nous permet de nous rendre compte de la notoriété de la licence en dehors du Japon, et cela va encore plus nous aider à être motivés pour réaliser la suite. Sachez qu’on a en projet de faire ensuite le manga de Noir 2 et Blanc 2. J’espère que je pourrai encore compter sur vos encouragements !
Satoshi Yamamoto : Je suis en train de préparer la suite, attendez patiemment s’il vous plaît.
Merci !
Merci aux éditions Kurokawa
Toutes les illustrations de l'article sont ©Nintendo
Toutes les photos sont ©Nicolas Demay